
Focalisées sur le présent, les démocraties contemporaines peinent à prendre en compte les enjeux du long terme. Comment aborder efficacement les grands défis écologiques dans ces conditions ? Peut-on anticiper les menaces qui pèseront sur les générations futures ? Le philosophe Dominique Bourg, vice-président de la Fondation Nicolas Hulot, propose des innovations concrètes pour mettre en place une « démocratie écologique ».
(...) Dominique Bourg, philosophe à l’université de Lausanne et vice-président de la Fondation Nicolas Hulot, participera à la Conférence environnementale pour traiter des questions de gouvernance.
Pour lui, nos institutions politiques sont, par nature, inaptes à prendre en compte les enjeux écologiques. Au 18e et 19e siècles, elles ont été conçues par les auteurs « Modernes » (de Locke à Benjamin Constant, John Stuart Mill, Alexis de Tocqueville) pour « assurer la sécurité dans les jouissances privées » (dixit Constant), et plus généralement, pour favoriser le commerce et promouvoir les libertés individuelles.
Les gouvernements représentatifs atteignent avec un relatif succès ces objectifs, mais ils ne prennent pas en compte la finitude de la planète. Dominique Bourg identifie ainsi plusieurs raisons structurelles qui expliqueraient cette cécité, telles que la territorialité (les élus dépendent d’un territoire précis alors que les problèmes écologiques sont transfrontaliers), l’invisibilité (inaccessibilité aux sens des électeurs de nombre de problèmes écologiques), ou encore la temporalité (les élus sont censés servir les intérêts du présent).
Après la démocratie antique, puis la démocratie moderne des sociétés industrielles, Dominique Bourg appelle ainsi un troisième âge institutionnel : la démocratie écologique. En France, cela suppose une Sixième République fondée sur de nouvelles institutions. (...)
D’une manière générale, ces conférences nationales annuelles ne portent pas davantage d’espoirs que le Grenelle du précédent quinquennat, et ce pour une raison simple : l’environnement n’est toujours pas une priorité gouvernementale. Les Verts sont cantonnés à un rôle de figuration et leur légitimité est fragilisée par le score présidentiel d’Eva Joly.
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Les conférences de citoyens, par exemple, sont des lieux privilégiés pour forger une conscience publique sur les problèmes environnementaux. (...)
l’environnement ne peut pas servir de prétexte à un renoncement aux valeurs fondamentales de la démocratie. Qu’est-ce qui empêcherait les institutions actuelles de reconnaître des poches d’expérimentation, des « laboratoires » où on expérimenterait des solutions pour le futur, à l’impact écologique drastiquement réduit, et conduites à et par la base (permaculture, monnaies locales...) ? (...)
En France, le Président de la République est une exception internationale : tout-puissant et affranchi de toute responsabilité politique hors de son élection. Comme nos voisins européens, nous devrions en finir avec cet exécutif bancal et confier la conduite de la politique de la nation au seul Premier Ministre et à son gouvernement. Le Président ne deviendrait pas pour autant une potiche : il assurerait dès lors la responsabilité du long terme. Il serait le garant de l’intérêt des populations futures, profitant d’une vision transversale sur les activités du gouvernement. Parmi ses compétences, il pourrait exercer un droit de veto constructif sur les projets de loi avant leur promulgation et pourrait saisir à sa discrétion les autres pouvoirs. (...)
le système législatif bicaméral pourrait s’enrichir d’une troisième chambre : une Assemblée du long terme dédiée aux problèmes environnementaux, composée de personnalités qualifiées et de citoyens tirés au sort. (...)
la Sixième République devrait inclure un Collège du futur, composé de scientifiques provenant des disciplines expérimentales mais aussi des sciences humaines et sociales. Une fois détachés de leurs organismes de recherche respectifs, ces scientifiques auraient un rôle de médiation (et non plus de recherche) : ils fourniraient aux institutions politiques et aux citoyens des données impartiales sur l’état de la biosphère. (...)
en 2009, à l’initiative danoise du Danish Board of Technology, une grande consultation mondiale sur le changement climatique a rassemblé 4 000 citoyens issus de 38 pays. Suisses, Egyptiens, ou autres, les participants ont témoigné d’une sensibilité proche et de consensus importants sur la nécessité de réduire, y compris par la contrainte, la production de gaz à effet de serre de toutes les nations. Le 15 septembre 2012, une consultation similaire aura lieu sur les questions de biodiversité avant le sommet des Nations Unies d’octobre en Inde. De telles consultations ont une influence importante auprès des décideurs ; elles témoignent d’un renforcement important à l’échelle internationale de la démocratie participative. (...)
Il faut aujourd’hui souligner le rôle remarquable du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) : c’est mutatis mutandis une sorte de Collège du Futur à l’échelle internationale qui fournit d’excellents travaux. En revanche, le projet majeur visant à créer une organisation mondiale de l’environnement n’a pas avancé d’un pouce à Rio. (...)