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Mediapart
Les inquiétudes de l’OCDE pour la lutte anti-corruption française
Article mis en ligne le 11 juin 2021

Éric Dupond-Moretti n’est pas près de redorer l’image de la France à l’étranger. L’OCDE, l’une des principales institutions interétatiques mondiales, a fait part, fin mai, au ministère de la justice, de ses « préoccupations » concernant les conséquences sur la lutte anti-corruption du projet de loi actuellement porté par le ministre, selon un document officiel dont Mediapart a pris connaissance.

D’après ce document, rédigé par la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère sur la foi de « conclusions provisoires » de l’OCDE, qui mène actuellement une évaluation de la politique française de lutte contre la délinquance économique et financière, l’absence d’indépendance statutaire des procureurs, le manque de moyens chronique des services enquêteurs et les obstacles aux investigations (comme le secret défense ou le secret des affaires) ne sont pas non plus de nature à rassurer. (...)

Cela apparaît d’autant plus embarrassant que l’OCDE vante, dans le même temps, les « progrès remarquables » et l’« avancée majeure » qu’a constituée la création, en 2013, du Parquet national financier (PNF), que l’actuel ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, voue pourtant aux gémonies depuis des années. C’est dire la distorsion qui semble s’installer entre le pouvoir exécutif français (représenté ici par son garde des Sceaux) et l’une des plus grandes institutions internationales sur les enjeux de la lutte anti-corruption dans une démocratie.

Comme Mediapart l’a déjà rapporté, la loi Dupond-Moretti, officiellement baptisée « loi pour restaurer la confiance dans l’institution judiciaire », suscite en coulisses une vive inquiétude au sein des institutions spécialisées dans la lutte contre la délinquance en col blanc (corruption, fraude fiscale, blanchiment…), que ce soit au sein du ministère de l’intérieur ou de ceux de la justice et des finances.

Parmi les nombreux motifs d’inquiétude que suscite la loi Dupond-Moretti, votée en première lecture à l’Assemblée nationale — elle doit passer au Sénat en septembre —, figure notamment le raccourcissement programmé des enquêtes préliminaires financières à deux ans de manière générale et, exceptionnellement, à trois ans. Ce qui est très court au regard de la complexité de la matière traitée et de la nécessité, dans la majorité des dossiers, d’engager des investigations internationales très chronophages.

Selon de nombreux magistrats et policiers anticorruption, si la loi devait être promulguée en l’état, le risque serait alors grand de voir à l’avenir les procureurs spécialisés classer sans suite des enquêtes faute de temps (et non faute de délits présumés) et de moyens (les policiers anticorruption sont déjà débordés par les dossiers) ou, au contraire, d’avoir à multiplier les ouvertures d’information judiciaire confiées à des juges d’instruction, dont les cabinets sont déjà débordés.

C’est précisément ce qu’a relevé, elle aussi, l’OCDE (...)

L’OCDE rejoint en tous points les préoccupations formulées, mardi 8 juin, dans les colonnes du Monde, par la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault. (...)

Tous les députés de la majorité présidentielle, de centre-droit ou de gauche, qui ont tenté d’obtenir une dérogation sur la durée des enquêtes pour la lutte anticorruption, comme cela était prévu dans le projet de loi pour le terrorisme et la criminalité organisée, se sont vu opposer un refus catégorique du gouvernement.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’avant d’être ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti a passé une partie de sa carrière d’avocat à défendre des personnalités mises en cause dans de retentissantes affaires financières (Balkany, Cahuzac, Djouhri, Tapie, l’État du Gabon…). Fait unique, le ministre est par ailleurs actuellement visé par une enquête de la Cour de justice de la République (CJR) pour « prise illégale d’intérêts » après s’en être pris, par des biais disciplinaires, à plusieurs magistrats anti-corruption avec lesquels il avait eu des différends par le passé.

Mais au-delà de la loi Dupond-Moretti, l’OCDE dit aussi son inquiétude concernant l’absence récurrente d’indépendance des procureurs français, statutairement soumis au pouvoir exécutif. (...)

L’OCDE doit rendre ses conclusions définitives au mois de décembre.