
Du processus révolutionnaire qui avait soulevé tant d’enthousiasme en 2011, il ne semble rester que des ruines. Au-delà du désastre humanitaire et de l’échec militaire et stratégique, l’offensive lancée en mars 2015 par l’Arabie saoudite contre les miliciens houthistes a accentué une polarisation tant confessionnelle que politique. Intimidations violentes, assassinats et arrestations mettent en danger les voix indépendantes comme celle de Nabil Subay, agressé le 2 janvier 2016 dans une rue de Sanaa.
(...) À l’attaque subie par son mari, Wamidh Shaker répond sur sa page Facebook : « Ce n’est pas vous qui conduisez le changement, c’est nous ! Ce que vous avez fait aujourd’hui à Nabil ne changera rien chez Nabil. Souvenez-vous, ceux qui génèrent le changement, c’est nous, pas vous ! ». Le terme de changement (taghiyir en arabe) n’est pas fortuit. Il fait directement référence à la place du Changement, autour de laquelle des centaines de milliers de Yéménites s’étaient rassemblés à Sanaa pendant des mois en 2011 et 2012 pour exiger, puis obtenir le départ d’Ali Abdallah Saleh. La bravade de Wamidh Shaker semble cohérente avec l’attitude indubitablement courageuse de son époux, journaliste, intellectuel, satiriste et auteur, père de leurs deux garçons. (...)
Dans le contexte de la guerre de 2015, Subay développe une approche médiane, contestant autant les bombardements saoudiens que la politique des houthistes, celle des alliés du président Hadi et des sudistes. En dépit de possibilités de prendre la fuite à l’étranger, il préfère rester à Sanaa avec sa famille, continuant à vivre et écrire malgré les bombes et les pressions. Son mariage avec Wamidh Shaker, issue d’une famille engagée dans la cause sudiste mais aussi ses propres origines zaydites lui permettent d’échapper aux logiques binaires d’un champ politique et intellectuel qui se polarise de plus en plus. Le manichéisme à l’œuvre met toutefois en danger les intellectuels indépendants. Les voix qui portent de telles approches autonomes ne sont protégées par personne et certains payent alors le prix fort dans une société marquée par la violence. (...)
L’attaque subie début janvier 2016 par Nabil Subay symbolise une dynamique réellement inquiétante dans un pays qui, il y a quelques années — et encore davantage au moment de l’épisode révolutionnaire de 2011 —, semblait connaître un foisonnement d’idées et de créativité. (...)
Nabil Subay décidera dans les semaines qui viennent quelle attitude il souhaite adopter face à la manœuvre d’intimidation dont il vient de faire l’objet. Souhaitons que lui et ses proches le fassent en ayant pleinement conscience du risque encouru dans un pays qui n’a sans doute jamais laissé aussi peu de place sur son territoire aux esprits indépendants.