
À la différence d’Air France, qui a annoncé une vague de suppression d’emplois, la compagnie low cost Ryanair affiche une insolente santé financière et de faibles frais de personnel. Et pour cause : le système que dénonce un ancien pilote de Ryanair est scandaleux. Il a été contraint de créer sa propre entreprise immatriculée en Irlande pour travailler en tant que prestataire pour la compagnie à bas coûts, sans assurance maladie ni rémunération fixe. Il a décidé d’attaquer Ryanair en justice. Ce modèle se répand dans le secteur, un modèle qui a pour corollaire fraude fiscale et casse sociale.
Le système qu’il décrit est celui d’une entreprise qui cherche par tous les moyens à contourner les législations du travail et le paiement de cotisations sociales. Ce qui lui permet potentiellement d’économiser des sommes considérables – en 2014, le chiffre d’affaires de Ryanair était de plus de 5 milliards d’euros – et de s’attirer les louanges de la presse économique grâce à ces frais de personnels beaucoup moins élevés qu’Air France. Et pour cause...
Entre Ryanair et son pilote, deux entreprises intermédiaires (...)
Sur le papier, Erik Fengler n’a jamais directement travaillé pour Ryanair. Sur le contrat qui lui a été envoyé en août 2011, c’est l’entreprise britannique Brookfield Aviation International, une société d’intérim de pilotes, qui figure comme interlocuteur. Mais pas directement. Pour conclure le contrat, le pilote a d’abord dû créer une entreprise à son nom en Irlande, Logic Aviation Limited. Sur le document, cette entreprise est considérée comme « un consultant indépendant » engagé par Brookfield Aviation International pour fournir les services de pilotage du « représentant de la compagnie », c’est-à-dire du pilote. Ryanair est bien mentionné sur le contrat comme le recruteur final. Mais il y est écrit que le pilote ne peut pas être considéré comme son employé.
Tout est donc fait pour protéger Ryanair. Pourtant, de fait, Erik Fengler a travaillé exclusivement pour Ryanair de septembre 2011 à la date de son départ, en mai 2013, et ce, onze mois sur douze, comme l’y obligeait le contrat. Il recevait même un tableau de service.
Conseiller fiscal pour pilotes prestataires
« Dans un document fourni avec le contrat, la liste des “questions fréquemment posées”, il était aussi écrit que je devais choisir un conseiller fiscal parmi une liste donnée de noms. J’en ai contacté un, qui m’a envoyé des documents que je devais signer, selon lesquels j’étais directeur d’une firme enregistrée en Irlande. » C’est de cette firme qu’Erik Fengler, alors âgé de 20 ans, reçoit son salaire.
L’ancienne entreprise d’Erik Fengler, Logic Aviation Limited, est toujours inscrite au registre du commerce irlandais. Elle est enregistrée à deux pas de l’aéroport de Dublin. Aux côtés de plus de 300 d’entreprises qui contiennent “Aviation” dans leur nom et qui sont enregistrées exactement à la même adresse. Elles s’appellent Acceleration Aviation Limited, Achilles Aviation Limited, Adonis Aviation Limited… et suivent l’ordre de l’alphabet sur le même modèle jusqu’à Xenon Aviation Limited ou Zepplin Aviation Limited.
Pourquoi un fonctionnement si compliqué pour faire travailler les pilotes de Ryanair ? « Au début, j’ai simplement pensé que tout le monde faisait comme ça à Ryanair. J’avais appris le métier de pilote, pas le droit fiscal, encore moins celui d’Irlande », témoigne Erik Fengler. Le jeune pilote signe donc, suit l’entrainement – payant – pour pouvoir piloter les appareils de la compagnie, et commence à voler depuis un aéroport allemand, Weeze. Peu après, il tombe malade, et découvre alors qu’il n’a pas d’assurance maladie, ni en Allemagne, où il est stationné, ni en Irlande, où son entreprise est enregistrée. (...)
Erik Fengler est ensuite parti, recruté par une autre compagnie, allemande. Soutenu par le syndicat allemand des pilotes Cockpit, il a décidé d’aller en justice. Le procès au tribunal du travail doit avoir lieu le 4 novembre. Dans sa procédure, le pilote vise à la fois Brookfield Aviation International et Ryanair, et demande à la justice de reconnaître qu’il était salarié de fait de la compagnie low cost. En parallèle, le parquet allemand de Koblenz a de son côté ouvert une information judiciaire pour fraude sociale contre Brookfield.
« Ce qui me tient à cœur, c’est de montrer que c’est aux frais de nous tous que ces compagnies proposent des vols aussi peu chers, tient à préciser le pilote. Car en Allemagne, en France, on a des systèmes sociaux qui dépendent des cotisations sociales. » Malgré nos relances, Ryanair n’a pas répondu à nos questions sur les accusations du pilote Erik Fengler.
Ce n’est pas le premier procès auquel Ryanair doit faire face pour fraude sociale. En France, la compagnie à bas coûts a été condamnée en octobre 2013, par le tribunal d’Aix-en-Provence, pour infraction au droit social français et entrave à l’exercice du droit syndical, à 200 000 euros d’amende et à plus de 8 millions de dommages et intérêts aux organismes sociaux tels que l’Urssaf et Pôle emploi. La condamnation a été confirmée en appel un an plus tard. D’autres compagnie à bas coûts ont été épinglées par la justice française pour leur pratiques antisociales. Comme Vueling et Easyjet, condamnées en France pour travail dissimulé et entrave aux instances représentatives des salariés [2].
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