
L’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, peu après le soulèvement contre Mouammar Kadhafi, a été à l’époque saluée comme une « intervention humanitaire ». Son objectif, si l’on en croit du moins la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies faisant office d’autorisation, était d’instaurer un cessez-le-feu et de mettre fin à des attaques contre les civils pouvant « constituer des crimes contre l’humanité ».
Plus de cinq ans après le déclenchement du printemps arabe en Tunisie, l’histoire est sur le point de se répéter. Malgré les déclarations de certains dirigeants comme le ministre des Affaires étrangères italien Paolo Gentiloni, qui a affirmé que son pays n’interviendrait pas en Libye sans qu’un gouvernement d’union nationale lui en fasse la demande, les puissances occidentales recommandent vivement la création d’un tel gouvernement et se préparent discrètement à entrer en jeu. Mais elles devraient y réfléchir à deux fois : une nouvelle intervention aurait de graves conséquences pour l’Afrique, qui subit déjà le fléau de la radicalisation islamiste.
Avec plusieurs milliards de dollars et une force de 52 000 à 275 000 combattants selon les estimations, l’EI a suffisamment de budget et de main-d’œuvre pour solidement s’implanter en Afrique. Au lieu de détruire le mouvement, une intervention militaire risque plutôt de l’engager dans un dangereux combat qui aurait de sérieuses répercussions sur l’ensemble du continent.
S’ils étaient poussés à prendre la fuite, les combattants de l’EI — pour ne pas parler des autres groupes présents dans le sud de la Libye comme Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) — n’auraient aucun mal à traverser les frontières poreuses du Sahel et du Maghreb pour se réfugier plus au sud.
Un mouvement qui pourrait faire tache d’huile (...)
Selon les services de renseignement, 30 000 combattants étrangers ont rejoint les rangs de l’EI, dont 5 000 à 7 000 en Libye. Chassés de ce pays, ces hommes rentreraient probablement dans leur pays d’origine ou trouveraient un autre lieu où faire valoir leurs nouvelles armes et munitions et leur expertise en matière de combat.
La population locale n’est pas insensible à l’attrait de l’EI : en janvier, l’Algérie a arrêté quelque 300 Marocains qui essayaient d’entrer en Libye. Ils étaient soupçonnés de vouloir rejoindre les 1 500 Marocains déjà membres du mouvement.
Une fois hors de Libye, l’EI pourrait nouer des liens plus étroits avec d’autres mouvements extrémistes qui se multiplient en Afrique (...)
Mais c’est la Tunisie, avec ses 500 kilomètres de frontière qu’elle partage avec la Libye, qui serait la première à pâtir des dangereuses conséquences de la fuite des extrémistes.
L’attrait du terrorisme dans cette démocratie naissante et vulnérable inquiète déjà depuis un certain temps — l’EI compterait 3 000 Tunisiens dans ses rangs. Les forces de sécurité tunisiennes ont tué au moins 36 combattants le 7 mars dans un affrontement qui a également fait plusieurs victimes civiles après une incursion de l’EI dans la ville de Ben Gardane, dans l’est de la Tunisie.
Selon les autorités tunisiennes, les auteurs des deux attaques les plus meurtrières de 2015 avaient suivi un entraînement de l’EI en Libye. (...)
Il ne faut pas oublier qu’une intervention entraînerait probablement de nouveaux déplacements de masse. Les combats et les bombardements conduiraient des centaines de milliers de Libyens à se réfugier en Tunisie, dans d’autres pays voisins et finalement en Europe. (...)
La France fait partie des États qui font pression en faveur de l’union et d’une éventuelle intervention (l’accord de Shkirat stipule qu’aucune intervention étrangère ne peut avoir lieu sans l’accord de la Libye).
Ses raisons sont multiples : le Quai d’Orsay se sent peut-être responsable pour sa participation zélée à l’intervention militaire de 2011 et pour le chaos qui s’en est suivi.
En outre, une intervention française en Libye renforcerait sa position politique et militaire au Sahel et au Maghreb. Bien que la France, comme d’autres pays occidentaux, déclare avoir pour seul dessein l’affaiblissement de l’EI, il va sans dire que son intervention peut faire partie d’une stratégie régionale à plus long terme.
Les ambitions de la France en Libye ne sont pas nouvelles. Dès septembre 2014, le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian a commencé à faire pression en faveur d’une intervention : « nous devons agir en Libye et mobiliser la communauté internationale », avait-il dit.
Les attentats de Paris ont sans doute renforcé la résolution de la France à lutter contre le terrorisme, mais l’émotion d’une capitale blessée n’est pas une raison suffisante pour mettre encore plus en péril la vie des civils en Libye.
Ce n’est pas parce que nous avons un marteau que tout problème est un clou (...)
Il existe d’autres solutions. La Libye a besoin d’un projet politique à long terme, passant par un dialogue ouvert entre les principales parties prenantes libyennes, qui doivent mettre de côté leurs propres intérêts et leurs visées politiques. La recherche de solutions aux problèmes de la Libye doit se faire dans un cadre juridique international respectant la souveraineté du pays.
En janvier, l’Union africaine a réuni le groupe de contact international pour la Libye à Addis Abeba dans le but d’aider les Libyens à parvenir à la paix. Lors de cette rencontre, le représentant spécial des Nations Unies pour la Libye, Martin Kobler, a dit que le groupe était « non seulement la preuve de l’importance donnée par l’Union africaine à la paix et à la sécurité sur le continent, mais aussi de sa coopération avec les Nations Unies en la matière. »
Ses mots doivent maintenant se traduire en actes. Après l’échec de l’OTAN en Libye en 2011, il est indispensable que les partenaires internationaux de l’Union africaine écoutent sincèrement et prennent en compte ses opinions dans toute leur importance régionale. La Libye est l’occasion idéale de montrer la valeur de l’Union africaine et des Africains aux yeux du reste du monde.