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Slate.fr
Les séries télé, nouvelle arme politique d’Erdoğan
Article mis en ligne le 14 octobre 2019

Une manière pour le régime islamo-nationaliste de valoriser le passé impérial.

C’est la série Le Siècle magnifique (151 épisodes entre 2011-2014) qui inaugura cette vague. Elle mettait en scène les intrigues de la cour –et du harem– de Soliman 1er dit « le Magnifique ». Les ébats amoureux du sultan et ses verres de vin avaient cependant suscité les critiques de proches du gouvernement.

Alors Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan s’en mêla, prenant à partie les producteurs de la série. « Le Sultan Soliman que l’on connait a passé trente ans à dos de cheval et non au palais », avait-il déclaré en 2012, avant d’appeler la justice « à faire le nécessaire » contre cette série qui dépréciait, à ses yeux, les valeurs de la nation. Contrôler l’État n’impliquait pas automatiquement contrôler le champ culturel. Erdoğan s’en rendait compte.

C’est donc pour compenser cette lacune que deux séries télévisées traitant (comme il faut) l’histoire des Turcs musulmans ont vu le jour. (...)

Histoire de propagande

Diffusées sur la principale chaîne publique TRT, ces séries bénéficient du soutien du gouvernement. (...)

« Il est clairement question d’une projection de l’agenda politique
du président dans un décor
du XIXe siècle. »

Stefo Benlisoy, spécialiste des minorités sous l’Empire ottoman

Quant au président turc, il aime accueillir les comédien·nes et producteurs de la série dans son palais aux 1.150 pièces ou les invite dans l’avion présidentiel à l’accompagner au Koweït, par exemple. Lui-même ne rechigne pas à se rendre sur un plateau de tournage et à jouer au metteur en scène.

Ce parrainage n’est pas fortuit. Les deux séries visent à effectuer un rapprochement, voire une identification, entre ces chefs historiques et le leader actuel de la « Nouvelle Turquie ». (...)

Détour par le passé, retour vers le présent

De la crise économique aux élections, de la tentative de coup d’État aux méga-projets controversés d’Erdoğan, quasiment chaque événement actuel trouve son écho dans le palais d’Abdülhamid ou sur les champs de guerre d’Ertugrul. (...)

Les scénaristes n’hésitent pas non plus à paraphraser le président turc : « Il n’y a pas d’État semblable à un jardin de roses sans épines », déclarait Erdoğan, pour rendre compte des difficultés auxquelles doit faire face l’État turc. « Ertugrul ne vous a pas promis un jardin de roses sans épines », entend-on dire dans Résurrection. Et après le 15 juillet, la musique du feuilleton retentissait dans les haut-parleurs lors des rassemblements nocturnes pour célébrer la victoire de la démocratie –ou du moins la défaite des putschistes. (...)

« Un cours d’introduction à l’antisémitisme »

Les ennemis qui veulent mettre fin au règne du sultan sont multiples, mais ils agissent de concert. Au premier plan de ce front uni d’adversaires se trouvent bien entendu les juifs –ou plutôt le juif par excellence, à savoir Theodor Herzl, fondateur et père spirituel du sionisme. (...)

Autrice d’une thèse sur la réception de ces deux séries par l’opinion, Sena Aydın indique que celles-ci sont principalement regardées par un public conservateur et nationaliste, qui y trouve une sorte de « manuel pour comprendre Erdoğan ».

Docteure en sciences de la communication, Aydın explique que ces deux feuilletons sont tellement promus par le chef d’État que cela devient une sorte de devoir hebdomadaire de les visionner (...)