
Les deux principaux syndicats de magistrats ont appelé l’ensemble du personnel de la justice à se rassembler, jeudi 24 septembre, devant chaque juridiction pour protester contre le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, qu’ils accusent de vouloir "affaiblir" l’autorité judiciaire. "Depuis plusieurs jours déjà, l’institution judiciaire est clairement attaquée par son sommet et celui qui devrait la protéger : le garde des Sceaux", ont affirmé mardi dans un communiqué commun l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM).
Parce que ces attaques sont dangereuses dans un Etat de droit, nous appelons l’ensemble du personnel de la justice à réagir collectivement en se rassemblant devant chaque juridiction.USM et SMdans un communiqué
Les deux syndicats critiquent notamment la décision du ministre de la Justice d’ouvrir une enquête administrative contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF).
Ils dénoncent également des déclarations d’Eric Dupond-Moretti au sujet de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) : s’ils ne contestent pas son choix de nommer une avocate pénaliste pour la diriger, ils sont en désaccord avec la dénonciation d’une "culture de l’entre-soi" au sein de l’école.
"Après le PNF, contre lequel il avait déposé plainte, c’est au tour de l’ENM d’être réduite de manière non étayée et caricaturale à un outil de reproduction de l’entre-soi", déplorent les deux syndicats.
Selon eux, le garde des Sceaux cherche à "affaiblir un peu plus l’autorité judiciaire" en "discréditant l’ENM, école d’application reconnue y compris internationalement pour la qualité de ses formations", et "en attaquant le PNF, service qui a tant rapporté dans sa lutte contre la délinquance économique et financière". Pour le Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature, Eric Dupond-Moretti "n’a toujours pas pris la mesure des responsabilités liées à son poste et se positionne en défenseur d’intérêts particuliers, quitte à salir l’autorité judiciaire".
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Il est une des grandes voix de la magistrature. Un de ses vieux sages. Eric de Montgolfier, 74 ans, aujourd’hui à la retraite, a traversé de nombreuses tempêtes judiciaires durant ses quarante années d’exercice. Jeune magistrat à la Chancellerie pendant huit ans, notamment sous Olivier Guichard, il a bien connu les rouages du ministère installé place Vendôme. Puis procureur à Valenciennes, Eric de Montgolfier a ferraillé contre Bernard Tapie, alors au sommet de sa gloire, dans l’affaire du match truqué VA-OM et tenu tête aux réseaux Mitterrand.
En poste à Nice, il a ensuite croisé le fer avec les réseaux francs-maçons au sein même de son tribunal. Une carrière d’incorruptible, de procureur courage, qui lui a d’ailleurs valu de nombreuses brimades de la part d’une institution qui prône l’indépendance mais où les hommes libres sont souvent catalogués « forte tête ». Nommé procureur général à Bourges en fin de carrière, Eric de Montgolfier aurait sans nul doute eu un parcours plus « prestigieux » si comme tant d’autres « hauts magistrats », il avait su se montrer plus docile dans le bureau de tel ou tel garde des Sceaux ou de tel ou tel directeur de cabinet. Mais chez lui, la « dignité » aura toujours été préférable au reste. Alors que la magistrature traverse une crise sans précédent contre son propre ministre et à la veille d’une mobilisation de protestation devant tous les tribunaux, à l’appel de plusieurs syndicats, Eric de Montgolfier lance une forme d’appel à ses pairs : « Levez-vous. »
Eric de Montgolfier : Je n’ai jamais été très porté aux actions collectives, mais je dois dire que si j’étais toujours en poste, pour une fois, je me joindrais à cette action. Trop c’est trop. Contrairement à ce qu’écrivent les syndicats, Eric Dupond-Moretti a trop bien pris la mesure de ses responsabilités ! Il a parfaitement compris l’usage qu’il pouvait faire de ses actuelles fonctions. C’est même le grand danger. La raison pour laquelle mes collègues magistrats doivent aujourd’hui se lever et dire non. (...)
Mais avec Eric Dupond-Moretti, il y a plus grave encore que ces attaques contre le corporatisme des magistrats, ce sont ses conflits d’intérêt.
C’est-à-dire ?
J’ai longtemps cru que la politique était une forme d’honnêteté. Je crois aujourd’hui que la politique est une forme de mensonge. Eric Dupond-Moretti en a pris toute la mesure. Comment peut-il s’en prendre au Parquet national financier dans un dossier où il était lui-même partie prenante avant d’être nommé ministre ? Si quelqu’un devait s’abstenir de toute intervention, je dis bien de toute, c’est lui. Or en attaquant le PNF, jusqu’au micro de l’Assemblée nationale, en lançant des poursuites disciplinaires folles contre trois magistrats de ce parquet, désignés nommément dans un communiqué, Eric Dupond-Moretti franchit toutes les limites. J’y vois le signe d’une République bien étriquée. (...)
Sa nomination est l’aboutissement d’un long processus. Tout un système a progressivement emmené à Dupond-Moretti. Il faut bien constater que l’actuel président de la République n’a pas un attachement très développé à la justice. On l’a vu recevoir directement et sans se cacher des candidats au poste de procureur, comme si les magistrats étaient des fonctionnaires comme les autres et que le président voulait montrer qu’il en était le chef. Quelle hérésie de confondre garant de l’indépendance et chef. Un des dangers pour la démocratie aujourd’hui, c’est le comportement des politiques. (...)
La Justice peut ne pas faire le poids devant la « bête noire », comme se surnomme lui-même Dupond-Moretti. Dans le monde actuel, où ils se taisent par définition, les juges n’ont pas la parole et ne sont pas populaires. Ce qui est préoccupant aussi, c’est la rétrogradation dans le rang protocolaire du ministère de la Justice, loin derrière celui de l’Intérieur. L’ordre naturel devrait quand même être l’inverse… Là encore, cela en dit long aussi sur l’état d’esprit du président de la République. Je crois que son passage dans les banques lui a appris depuis longtemps à quel point « affaires » et « justice » ne faisaient pas toujours bon ménage. De moins en moins d’ailleurs.
J’espère que mes collègues vont réagir. (...) Diront non. En laissant filer les choses, on manque de dignité.
– Les magistrats sortent des tribunaux pour manifester leur colère envers Eric Dupont-Moretti, le garde des sceaux. Des manifestations sont prévues un peu partout en France aujourd’hui : en cause : des poursuites à l’encontre de magistrats avec qui il était en conflit alors qu’il était avocat. L’union syndicale des magistrats dénoncent un mélange des genres. (...)
– Deux syndicats de magistrats appellent à manifester contre Eric Dupond-Moretti, un troisième l’attaque au Conseil d’Etat (...)
Unité magistrats FO demande en référé la suspension de l’enquête sur trois magistrats du PNF ordonnée par le ministre de la justice. Les deux principaux syndicats l’accusent de vouloir « affaiblir » l’autorité judiciaire. (...)
Ils ont engagé parallèlement une procédure au fond pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative. Unité Magistrats et Adelico observent que le rapport de l’Inspection générale de la justice « ne mettait en évidence aucun manquement d’ordre disciplinaire ou déontologique pour aucun des magistrats du PNF » dans cette enquête qui a duré près de six ans et avait pourtant conduit à éplucher les fadettes de dizaines d’avocats et de magistrats, en vain.
Ils affirment ainsi que « deux mois après sa nomination le ministre de la justice paraît alors avoir utilisé sa fonction gouvernementale pour atteindre l’objectif qu’il avait publiquement énoncé au printemps 2020 : mettre en cause, sur le terrain disciplinaire, les magistrats anticorruption et plus largement affaiblir le PNF à l’approche du procès de son ami Thierry Herzog et de Nicolas Sarkozy, au cours duquel l’accusation sera représentée par le PNF ». (...)
Pour les deux syndicats, M. Dupond-Moretti « n’a toujours pas pris la mesure des responsabilités liées à son poste et se positionne en défenseur d’intérêts particuliers, quitte à salir l’autorité judiciaire ». « Parce que ces attaques sont dangereuses dans un Etat de droit, nous appelons l’ensemble du personnel de la justice à réagir collectivement en se rassemblant devant chaque juridiction » jeudi à 13 heures, concluent les syndicats.