
Cinquante années de politique agricole commune ont eu raison de la paysannerie familiale, explique l’auteure de cette tribune. Pour satisfaire aux impératifs de la compétition économique, les agriculteurs se tournent vers les travailleurs détachés, dont les conditions de travail et de rémunération sont misérables.
La Drôme, premier département bio de France, est également un des plus gros pourvoyeurs d’emplois saisonniers agricoles. De la cueillette des cerises au ramassage des abricots en passant par les vendanges dans les prestigieux vignobles, cela représente des milliers de saisonniers chaque année. Parmi eux, on compte toujours plus de travailleurs migrants, venus compléter leurs revenus en France ou fuyant la précarité de leur pays. Une fois dans les exploitations, la réalité est rude : sous-rémunération, logement insalubre, racisme ambiant, exposition aux pesticides… Les conditions de vie et de travail de ces saisonniers soulèvent de nombreuses questions sur le modèle agricole, les politiques migratoires, le salariat agricole ou l’information des consommateurs.
La Drôme, comme de nombreux bassins agricoles, se tourne désormais vers les équipes de travailleurs détachés, mises à disposition par des entreprises internationales de prestation de service. Ces sortes de boites d’intérim étrangères « prêtent » des saisonniers pour la durée souhaitée. Une flexibilité inespérée pour les agriculteurs, qui ont souvent besoin de quelques travailleurs sur une courte période et préfèrent ne pas avoir à se charger des contrats et des autres lourdeurs administratives. Certaines entreprises ont même leur propre compagnie de transport et des liens avec le pays d’origine afin de garantir la fidélité des détachés (bourses scolaires…). Soumises aux charges du pays d’envoi, elles se doivent toutefois de respecter un « noyau dur du droit français » : Smic horaire, droit syndical, temps de travail, prise en charge des coûts liés au détachement… En réalité, les saisonniers sont peu informés de ces droits, parlent rarement français et se retrouvent isolés dans les champs. Les fraudes sont alors nombreuses : les bulletins de paie ne reflètent pas la rémunération réelle, le nombre d’heures invérifiable viole souvent les conventions et les prestataires multiplient les prélèvements de frais (nourriture…).
L’ouverture des marchés aux niveaux européen et international pèse sur l’emploi : le coût du travail est un levier pour la concurrence. C’est une réelle bataille économique, qui a déjà détruit de nombreux emplois en France et ailleurs obligeant les paysans à quitter leur terre et à migrer pour survivre. C’est ainsi que d’anciens paysans marocains sont arrivés via les contrats saisonniers de l’Office des migrations Internationales. Aujourd’hui, ils sont remplacés par des Équatoriens détachés par des entreprises espagnoles. (...)
Le travail syndical est particulièrement laborieux dans le monde agricole, tandis que les associations de défense des migrants sont souvent situées en zone urbaine. Restent alors les services de l’État, l’Inspection du travail notamment, chargée de lutter contre ces formes de travail à la limite de la légalité avec les moyens du bord.
Face à ce constat, la Confédération paysanne, en tant que syndicat de défense de l’agriculture familiale et des travailleurs de la terre, s’est saisi du sujet. Depuis dix ans, elle travaille avec la Via Campesina à la dénonciation des méfaits du modèle agricole et des violations des droits humains (...)
Les saisonniers migrants dans l’agriculture sont invisibles (...)