
Doona, une étudiante trans, s’est jetée sous un train en gare de Montpellier Saint-Roch [1] ce Mercredi 23 septembre, sous les yeux de dizaines d’usager-e-s. Ce geste désespéré fait suite à une période dépressive intense pour elle, qui n’est pas sans cause. Doona a, en effet, raconté à ses proches ainsi que sur son compte Twitter la transphobie qu’elle a subi venant du milieu médical, ce qui l’a poussé à fuir les urgences. Elle a également raconté les manquements du CROUS à son égard, l’ayant, selon ses dires complétés par le SCUM [2] (Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier), menacé de l’expulser de son logement si elle faisait à nouveau une crise suicidaire. Une situation inacceptable et inhumaine si elle se confirme, qui entrainera la mort de Doona, celle-ci s’étant suicidée quelques heures après sa rencontre avec le CROUS.
Sans dire que le CROUS n’est jamais intervenu auprès de Doona par rapport à ses difficultés, nous devons cependant reconnaître le manque d’accompagnement dans cette affaire et par conséquent, la responsabilité du CROUS de Montpellier dans la mort de Doona. Le ministère de l’Enseignement Supérieur doit également amorcer des mesures d’urgences, et entamer un grand plan de refonte du système des œuvres universitaires, s’inspirant des revendications syndicales de ces dernières années (en particulier sur la question de la précarité étudiante).
Une étudiante qui se suicide, ce n’est pas sans cause. Le phénomène ne peut être isolé, individualisé, d’autant plus que des actes similaires sont choses trop récurrentes. Cette année, des étudiant.e.s sont mort.e.s dans leur chambre CROUS [3], d’autres ont plusieurs fois tentés de se suicider, certain.e.s, comme Doona, y sont parvenus.
Nous ne pouvons également pas faire l’impasse sur l’histoire d’Anas, étudiant qui s’est immolé par le feu devant le siège du CROUS à Lyon le 8 novembre dernier [4]. En grande précarité, il a tenté de mettre fin à ses jours après avoir publié sur son compte Facebook une lettre dénonçant les politiques gouvernementales. Heureusement pour lui, il s’en est sorti et est aujourd’hui, en rémission. D’autres, comme Doona, n’en sont pas revenus.
Si le suicide est pourtant documenté depuis Durkheim comme relevant du fait social, l’habitude politique tend à isoler les cas, préférant les cellules d’écoute psychologiques à une prise en charge politique de la question. Quand bien même parfois, comme dans le cas d’Anas, ce sont bien les choix politiques qui sont directement mis en cause.
Doona voulait vivre. Elle est morte parce qu’on l’a méprisée, abandonnée, maltraitée. (...)
Si le CROUS n’avait pas la possibilité d’expulser, de vider des logements à tout va, Doona aurait pu s’en sortir. Si davantage de moyens étaient accordés aux étudiant.e.s pour leur quotidien, leur santé, Doona aurait pu suivre sa transition correctement, en étant accompagnée et respectée pour ce qu’elle était : une femme. (...)
Le CROUS et au-delà le ministère de l’ESRI sont responsable de sa mort, comme ils sont responsables de la mort de tous et toutes les étudiant.e.s qui se sont suicidés, ou qui sont mort.e.s de faim. Combien faudra-t-il encore de suicides ou de tentatives de suicides pour qu’on prenne enfin la question au sérieux ? (...)
Aujourd’hui, le directeur du CROUS de Montpellier appelle les organisations, les étudiant-e-s qui s’indignent de la mort de Doona, « à davantage de retenue » en réponse aux critiques adressées à la structure qu’il dirige.
C’est tout ce qu’on trouve à nous répondre, nous "inviter à la retenue" ? N’est-il pas plus judicieux de vouloir comprendre la colère qui, si elle ne s’exprime pas toujours dans les termes les plus justes, répond à une situation qui ne peut qu’indigner, ou tout du moins attrister, tout esprit qui sait un tant peu de quoi il parle ? N’est-il pas plus judicieux d’enquêter sur la situation, évaluer ce qui aurait pu éviter la mort de Doona, ou de n’importe quelle autre étudiant-e ?
Doona était une femme trans. Il est du rôle de l’enseignement supérieur de permettre aux personnes trans de s’accomplir pleinement dans leur transition. Si un décret est paru pour faciliter le changement de prénom d’usage à l’université, nous constatons qu’il n’est pas appliqué partout et qu’au-delà de ça, il reste beaucoup à faire pour intégrer comme il se doit les personnes trans à la communauté universitaire. En témoigne la récente démission de Karine Espineira de ses fonctions. La co-fondatrice de l’Observatoire des Transidentités a en effet publié en ce sens un long message sur Twitter [7]. Elle y dénonçait la situation actuelle en France qui la poussa à arrêter ses recherches. Ce qui est d’autant plus grave quand on sait à quel point il y a un manque flagrant de recherches scientifiques sur le vécu des personnes trans en France. Donner plus de moyens à la recherche, c’est aussi permettre la création et la publication de travaux sur la question, et ainsi faciliter les politiques d’intégration à l’égard des personnes trans.
Nous ne pouvons décemment pas attendre un prochain suicide avant de commencer à répondre concrètement à la question de la vie étudiante. (...)
Nous n’avons pas besoin qu’on nous appelle à la retenue, nous nous retenons déjà assez.
Nous en avons assez de pleurer nos mort.e.s et de passer des heures entières au chevet de celles et ceux qui n’en peuvent plus. Nous en avons assez qu’on nous dise qu’il faut « donner les moyens à tout le monde d’étudier » sans jamais le faire vraiment, nous sommes épuisé.e.s de devoir évoluer au sein d’un monde sans avenir. Nous ne voulons plus nous inquiéter pour les autres, nous voulons que nos proches ait les moyens de vivre réellement. Nous voulons que faire de la recherche en France ait un sens pour toute la communauté universitaire. Nous voulons des moyens pour vivre décemment, nous en avons assez d’avoir l’impression que c’est trop demandé.
C’est par rapport à tout cela qu’il est urgent d’agir et de mettre fin à l’indécence qui nous tue.