
Vous qui lisez Mediapart, prenez garde : sous l’apparence d’un journal d’investigation indépendant et participatif, vous êtes en train de soutenir l’agent d’influence du terrorisme islamiste en France. Ce n’est pas une blague, c’est sérieux puisque Le Figaro Magazine l’affirme, et il n’est pas le seul.
Ils ne lâchent pas l’affaire. « Ils » ? Tous ceux qui ne veulent pas que le monde soit meilleur, plus juste, plus libre, plus égalitaire, plus fraternel. Ils sont conservateurs par refus de se mettre en cause, réactionnaires par peur de l’inédit et de l’incertain, égarés par haines d’eux-mêmes, de ce qu’ils furent et qu’ils ne sont plus – jeunes, audacieux, révoltés, indignés. Ils sont aussi violents et haineux par crainte de perdre leurs pauvres privilèges qu’ils savent fragiles tant l’imposture, la facilité, sinon la fainéantise, sans compter l’aveuglement de l’entre soi en ont sapé les fondations, déjà minées par l’exploitation du travail et l’indifférence au sort du plus grand nombre.
Aussi, par temps de casse du code du travail (lire ici), de mise en cause de l’État de droit (lire là), de chasse aux migrants et de criminalisation de la solidarité (lire ici et là), leur faut-il faire diversion. Dès lors, rien ne leur importe plus que de remiser au second plan les questions sociales et démocratiques. Contre l’agenda porté par la société, ses meilleures volontés, ses indignations généreuses et ses mobilisations solidaires, leur mission est de remettre en scène le bouc émissaire du moment, cette tête de turc qui permettra de réinstaller au cœur du débat public des hiérarchies supposées naturelles (d’origine, de milieu, de culture, de croyance, d’apparence ou d’appartenance) et de justifier les injustices qu’elles légitiment.
Comme s’ils s’étaient donné le mot, trois hebdomadaires ont ainsi, cette semaine, tiré ensemble contre le péril musulman – car il suffit de bien les lire pour comprendre que les mots « islamisme » et « terrorisme » ne servent ici que d’alibis pour stigmatiser une partie de notre peuple à raison de son histoire, de sa culture ou de sa religion. Ce que d’ailleurs assume explicitement la couverture du Figaro Magazine qui cible « les agents d’influence de l’islam ». Faisant concert commun, Marianne, Valeurs actuelles et Le Fig-Mag ont donc eu à cœur de nous rappeler aux véritables urgences, la semaine où a été votée la loi la plus liberticide de la Cinquième République (lire ici), où le président de la République s’en est pris à ceux qui « foutent le bordel » (lire là) et où l’on pouvait découvrir, sur Mediapart notamment, bien d’autres urgences plus essentielles (par exemple la solidarité avec les migrants, l’instrumentalisation de la CPI par les puissances occidentales, le scandale de corruption à Airbus). (...)
Vous lirez donc, dans Le Figaro Magazine notamment, que votre journal a pour président, directeur de la publication et cofondateur, signataire de ces lignes, le « capo dei capi », autrement dit « le chef des chefs » en langage mafieux, de la pieuvre islamiste, affairé à faire en sorte que Mediapart soit « aux ordres des Frères musulmans et des wahhabites », animant ainsi un « nid de collabos » au service de « la Peste verte ». Ces mots déjantés sont signés Pascal Bruckner qui ne nous lit pas et nous connaît encore moins, intellectuel médiatique surtout, c’est-à-dire ayant, depuis longtemps, renoncé à toute recherche, à toute vérification, à tout travail en somme, autre que l’entretien, par le bruit, la fureur et la rumeur, de sa notoriété.
Dans ce même numéro, avec la caution de l’homme qui symbolise le désastre de la gauche socialiste, Manuel Valls dont l’interview s’en prend aussi à Mediapart, je me retrouve au centre du cercle conspiratif supposé identifier la Cinquième colonne d’ennemis de la nation auxquels, l’heure venue, des identitaires illuminés sauront régler leur compte. Espérons seulement qu’il ne se payent que de mots et de fantasmes… Reste que me voici, et Mediapart avec moi, en diverse et hétéroclite compagnie, après tout plutôt avantageuse : Edgar Morin, Caroline de Haas, Pascal Boniface, Rokhaya Diallo, Jean-Louis Bianco, Tariq Ramadan, Danièle Obono, Benoît Hamon, Philippe Poutou, Emmanuel Todd. Le point commun de tous ces noms, par-delà leurs désaccords ou leurs divergences ? Refuser la stigmatisation d’une religion, l’islam, et surtout de la diversité des humanités qu’elle recouvre au prétexte du terrorisme qui s’en réclame. (...)
Rétif aux aveuglements grégaires, symbole de liberté et de raison, le philosophe Spinoza avait mis au compte des « passions tristes » la haine et n’a cessé, dans toute son œuvre, de dénoncer l’homme qui les exploite parce qu’il a besoin d’elles pour asseoir son pouvoir. Nous préférons donc laisser ces propagandistes à leurs tristesses recuites afin de mieux profiter des joies qu’offrent les causes communes de l’égalité, celles où nous nous retrouvons sans distinction d’origine dans le partage de nos différences. Tout au plus aurions-nous envie de leur conseiller la lecture d’un essai récemment traduit en français, dont le titre reprend précisément celui de l’un de mes appels à la fraternité : « Contre la haine », répété ici et là face aux attentats terroristes qui nous ont meurtris.
Dans ce livre de Caroline Emcke (lire ici notre entretien), qui a été distingué par le Prix des libraires pour la paix en Allemagne, on peut lire des réflexions qui valent réponse à nos malheureux calomniateurs. (...)
Haïr, c’est ne pas faire de détail. Quant à nous, nous résistons. Pas seulement à la haine, mais aussi à l’ignorance et à la stupidité. En nuançant, en complexifiant, en informant. À l’air du temps en somme, aussi mauvais soit-il, en empruntant résolument les chemins de l’émancipation, dans leur grande diversité qui fait leur prometteuse richesse. (...)