
La protection du « secret des affaires » est une revendication ancienne des dirigeants économiques français. Avec le projet de loi Macron sur « la croissance, l’activité et l’égalité des chances », cette vieille lune patronale est en passe de se réaliser. La commission spéciale du Parlement chargée d’examiner la loi Macron a décidé d’y intégrer des dispositions visant à protéger les informations jugées sensibles par les entreprises, avec des sanctions pénales très dures à la clé. Une menace directe pour les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation, et une nouvelle régression en matière de droit à l’information et de contrôle démocratique des pouvoirs économiques.
Sous couvert de mieux protéger les entreprises nationales contre l’espionnage industriel, le Parlement français est invité à renforcer considérablement le droit des entreprises à verrouiller toute information sur leurs activités [1]. Selon les dispositions votées par les députés, quiconque prendra connaissance ou divulguera une information protégée sera désormais puni – en complément des éventuels dommages et intérêts à verser au titre de sa responsabilité civile – d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison et de 375 000 euros d’amende. Cette peine sera portée à 7 ans de prison et 750 000 euros d’amende si cette divulgation porte atteinte aux « intérêts stratégiques ». Une disposition dont ne manqueront pas de se réjouir des entreprises actives sur le secteur nucléaire, comme Areva ou EDF, ou les industriels de l’armement. La notion d’information protégée est définie de manière extrêmement large : les entreprises auront en fait liberté quasi totale de décider quelles sont les informations qu’elles considèrent comme « stratégiques ».
Le faible contrôle démocratique sur les pouvoirs économiques est déjà patent, quel que soit le domaine considéré (fiscalité, lobbying et conflits d’intérêt, responsabilité juridique, application du droit du travail...). Les députés français ont pourtant choisi d’entraver encore davantage la capacité de contrôle et d’alerte des citoyens, des salariés et de la société civile. Déjà, la condamnation du média marseillais TourMag, au début de l’année 2014, pour avoir révélé un projet de plan social chez l’opérateur Tui [2] laissait présager d’un monde où les citoyens ne pourraient plus accéder qu’aux informations que les entreprises auront décidé de nous livrer. (...)
toute considération relative à l’éthique, à l’intérêt général, aux droits ou à l’environnement est absente de cette vision du monde. Aucun moyen de distinguer entre le travail des journalistes et le lancement d’alerte d’un côté, et l’espionnage industriel de l’autre. C’est pourtant cette même vision du monde que l’on retrouve aujourd’hui portée par les députés socialistes et les hauts fonctionnaires. Publié en décembre dernier, le premier rapport annuel de la Délégation parlementaire au renseignement, présidée par le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, accordait une large place au renseignement économique, reprenant les arguments ressassés depuis plus de dix ans par le lobby de l’intelligence économique.
Lanceurs d’alerte et journalistes d’investigation sous la menace (...)
la publicité des comptes existe dans la plupart des pays, si ce n’est précisément dans les paradis fiscaux et autres « juridictions secrètes ». À l’heure où de nombreuses institutions internationales et la société civile poussent pour obtenir davantage de transparence financière de la part des entreprises afin de lutter contre la corruption et l’évasion fiscale (lire notre article), les promoteurs de cette disposition parmi les élus et le gouvernement nagent résolument à contre-courant.