
Inspiré par un documentaire de Claire Lajeunie sur les femmes sans-abri, “Les Invisibles” met en lumière celles qu’on ne voit jamais parce que trop pauvres. Et puis, il y a d’autres femmes, celles qui les soutiennent et dont l’investissement est mal perçu. Sans occulter la réalité de la grande précarité en France, Louis-Julien Petit parvient à nous fait rire.
L’Envol, centre d’accueil de jour pour femmes SDF du nord de la France, des sans-abri de tous âges viennent se reposer, se réchauffer, prendre un café ou une douche. Se faire aider avec la paperasse et les démarches pour retrouver un logement. Du lundi au vendredi, les assistantes sociales et les bénévoles s’y activent pour accueillir « sans condition » toutes les femmes qui ont besoin d’elles. Quand un jour, le couperet tombe : la mairie, qui juge le taux de réinsertion insuffisant, « ne peut plus continuer à dépenser sans résultats ». L’Envol doit fermer ses portes. On s’indigne dans notre fauteuil. On commençait déjà à s’attacher aux increvables travailleuses sociales Manu (Corinne Masiero) et Audrey (Audrey Lamy), et à « Edith Piaf », « Beyoncé » ou « Lady Di », les femmes sans-abri qui se choisissent un pseudo de star pour préserver leur anonymat. Mais en véritable alchimiste, Louis-Julien Petit transforme rapidement la désespérance qui guette en un réjouissant épisode de désobéissance civile et de solidarité. La tragédie annoncée, en comédie sensible et survoltée. (...)
Alors que la problématique de la rue au féminin était encore peu abordée, Claire Lajeunie révélait de sombres données. Près de 40 % des sans-abri sont des femmes. Les lieux d’hébergement qui leur sont consacrés manquent cruellement et le numéro d’urgence 115 est saturé. « Leur vie est un enfer fait de violences et d’agressions », écrivait Claire Lajeunie dans le livre Sur la route des invisibles, femmes dans la rue, où elle raconte son immersion. (...)
« Je n’avais pas compris que les barres et les piques installées dans les centre-ville servaient à éloigner les SDF. C’est ce qui a fait que j’ai mis trois ans de ma vie entre parenthèses pour faire ce film. J’aimerais que l’argent de mes impôts serve à aider ces personnes, pas à les exclure… » Louis-Julien Petit devient bénévole et se « fait happer par la marée humaine » des centres d’accueil. Le film ne lui semble plus vraiment important. Il voudrait faire bien plus. Après huit mois de travail, il jette à la poubelle la première version du scénario, « une chronique sociale qui n’apportait rien de plus que ce qu’avait déjà fait Claire », et repart à zéro. Il repense l’histoire par le prisme du vivre ensemble, de l’union qui fait la force (...)
« Ces lieux ont un côté solaire. Il n’y a pas le misérabilisme qu’il peut y avoir à l’extérieur, mais des personnes comme vous et moi. Les travailleuses sociales, les bénévoles et les femmes accueillies y sont tous au même niveau. » Devant Les Invisibles, on oublie d’ailleurs régulièrement que Lady Di, Edith Piaf, Dalida et les autres sont « à la rue ». On découvre leurs riches trajectoires, leurs personnalités, leur savoureux bagout. « La comédie sociale était le seul genre qui pouvait créer une passerelle entre le spectateur et un sujet qu’il n’a pas forcément envie de voir », commente Louis-Julien Petit. (...)
Le cinéaste se rend compte au gré des rencontres que les invisibles, ce sont aussi les travailleuses sociales, qui ne sont « pas reconnues par l’administration, pas aidées à aider les autres ». Le personnage de l’assistante sociale Audrey est ainsi une transposition subtile du témoignage à la première personne de Claire Lajeunie, qui ne cesse dans son livre d’interroger sa relation aux femmes avec qui elle partage un bout de chemin, caméra à la main. (...)
Si Catherine (Marie-Christine Orry) et Julie (Sarah Suco) sont jouées par des comédiennes, la majorité des SDF du film sont des femmes ayant réellement connu la grande précarité ou la rue par le passé. La truculente Adolpha Van Meerhaeghe, par exemple, incarne Chantal, qui a fait de la prison après avoir tué son mari qui la battait. « Quand Adolpha est sortie de prison, raconte Claire Lajeunie, on lui a dit qu’elle serait marquée d’un fer rouge toute sa vie. Depuis, elle s’habille toujours en rouge. Elle ose. » (...)
En castant de vraies « invisibles », en les portant à l’écran, le jeune cinéaste veut aussi donner de la visibilité aux femmes derrière les personnages. Au départ, il a monté des ateliers de théâtre avec une centaine de volontaires. « Je leur ai dit de se choisir une célébrité qu’elles admiraient et elles sont devenues Simone Veil, Edith Piaf ou Beyoncé. Elles sont devenues actrices à ce moment-là : les pseudos les ont aidées à s’oublier pour se révéler. Je voulais qu’elles reprennent confiance en elles, comme les personnages du film. Certaines ont quitté leur mari, ont obtenu la garde de leur enfant, d’autres ont retrouvé une visibilité à leur propres yeux (...)
Encore émue, la réalisatrice raconte que Barbara, la jeune femme SDF du documentaire qui a inspiré le personnage de Julie, était présente à une avant-première des Invisibles à Avignon. « Elle a pris le micro pour dire qu’elle va mieux, elle vit dans un appartement et est devenue travailleuse sociale, comme elle le voulait. Nous n’avons jamais cessé de nous écrire depuis le tournage. Elle m’a dit que le film de Louis-Julien lui avait aussi fait du bien. Il y a eu un effet miroir. » (...)
Louis-Julien Petit prend le parti du rire et de l’optimisme. Mais ses comédies ne connaissent pas de happy-end téléphoné. Pas de résolution miracle : la victoire est celle des valeurs. Ce qui intéresse Louis-Julien Petit, c’est le processus de reprise en main d’individus malmenés. « Le combat est plus important que le but à atteindre, explique-t-il.(...)