
Les inégalités fracturent nos sociétés et fragilisent nos systèmes politiques, constatent, dans une tribune au « Monde », le codirecteur du laboratoire sur les inégalités mondiales et la directrice générale d’Oxfam France, qui appellent à une réforme fiscale en France pour financer un grand plan d’investissements publics.
Tribune. C’est sans précédent. Depuis 1995, les 1 % les plus riches ont capté 38 % de l’augmentation des richesses, tandis que les 50 % les plus pauvres n’en ont capté que 2 %. Dans le même temps, depuis le début de la pandémie de Covid-19, 160 millions de personnes seraient tombées dans la pauvreté selon la Banque mondiale. Jusqu’à quel niveau d’inégalités allons-nous continuer à détourner le regard ? (...)
Comme la comète du film Don’t Look Up, c’est une tornade sociale et politique qui fonce sur nous mais face à laquelle on ne fait rien, ou beaucoup trop peu. A l’image des catastrophes climatiques, nous aurions tendance à croire que les inégalités n’affectent que les autres. Pourtant, un tel niveau d’inégalités n’est pas compatible avec le bon fonctionnement de nos démocraties. Regardons ce qu’il se passe partout dans le monde : crise politique aux Etats-Unis, manifestations en Colombie, au Chili [entre 2019 et 2021] ou au Liban… et il y a trois ans, les « gilets jaunes » en France.
Tout le monde est touché par la hausse des inégalités, car elles fracturent nos sociétés et fragilisent nos systèmes politiques. Quid de l’environnement ? La richesse extrême engendre des niveaux de pollution extrêmes : le développement du tourisme spatial pendant la crise liée au Covid-19 en est une absurde illustration. Quid de la santé ? Les épidémiologistes Richard Wilkinson et Kate Pickett ont montré que même la santé des plus aisés est plus fragile dans une société inégalitaire.
Les gouvernements ont baissé les bras
La France est-elle épargnée ? Bien sûr que non. Les 10 % les plus riches possèdent la moitié des richesses totales alors que les 50 % les plus pauvres doivent se partager 5 % du gâteau. Et la situation s’aggrave. (...)
C’est bien d’inégalités extrêmes dont il s’agit dans notre pays, sixième puissance mondiale.
Ne détournons pas le regard face à une minorité en train de faire sécession. Regardons aussi qui sont les responsables de la situation. Si les multimillionnaires et les milliardaires se sont autant enrichis depuis trois décennies, ainsi qu’en pleine pandémie, ce n’est pas grâce à la main invisible du marché mais parce que les politiques publiques ne jouent pas pleinement leur rôle.
Pendant la pandémie, des milliards d’argent public ont été versés par les gouvernements sans contrepartie. Plus largement, depuis trente ans, les gouvernements ont baissé les bras face aux inégalités. Pourtant, celles-ci n’ont rien de naturel, elles sont les résultats de choix politiques (...)