
Appel signé par plus de 150 personnalités, dont Malik Salemkour, président de la LDH, en soutien au Hirak du Rif et appelant à la libération des détenus politiques de ce mouvement social
Une année vient de s’écouler depuis le déclenchement dans le nord du Maroc du plus grand mouvement de contestation citoyenne que le pays ait connu depuis l’arrivée au pouvoir en 1999 du roi Mohammed VI, suite au décès de son père Hassan II. Il dépasse en ampleur la mobilisation que le pays avait connue en 2011 lors du « printemps arabe », car il a fait sortir dans les rues hommes et femmes, toutes les classes d’âge, toutes les couches de la population. En outre, il s’est installé dans la durée et il a bénéficié dans l’ensemble du pays de multiples manifestations de soutien en sa faveur.
Le foyer de ce mouvement, appelé Hirak par ses initiateurs, est la région du Rif, dont le nom est entré dans l’histoire au début du siècle dernier grâce au combat qu’une fédération de ses tribus dirigée par Abdelkrim al-Khattabi avait mené contre l’armée espagnole d’occupation. Cette dernière a été défaite, et la région libérée en grande partie en 1921. Il aura fallu, quelques années après, l’intervention de centaines de milliers de soldats français commandés par le maréchal Pétain et prêtant main forte à l’armée espagnole, des bombardements massifs au gaz moutarde, pour venir à bout de cette révolte, inaugurale dans l’histoire de la lutte des peuples contre la domination coloniale.
Plus tard, juste au lendemain de l’indépendance, la population du Rif, désormais réputée pour son esprit frondeur, a été victime d’une répression sanglante de la part du régime dirigée par le général de triste mémoire, Oufkir, avec la participation directe de celui qui n’était encore que prince héritier, le futur roi Hassan II. Un décret royal (qui n’a d’ailleurs jamais été abrogé) avait été alors émis considérant le Rif comme une « zone militaire ».
L’autre facteur à prendre en considération lorsqu’il est question du Rif tient à l’attachement de ses populations à leur langue et leur culture amazighes marginalisées, voire niées pendant des décennies par le pouvoir central et même par une bonne partie de la classe politique. C’est ainsi qu’au cours du temps un sentiment profond d’injustice mais aussi de réelle fierté s’est ancré dans la conscience des Rifains.
C’est ce sentiment, ajouté aux frustrations partagées avec l’ensemble du peuple marocain, qui va éclater au grand jour suite à un événement atroce survenu le 28 octobre 2016 à Al-Hoceima, chef lieu de la région : la mort du marchand de poissons Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à ordures alors qu’il tentait de sauver sa marchandise confisquée, « jugée impropre à la consommation », et ce en présence des agents d’autorité qui avaient ordonné ladite confiscation. Dès la diffusion de la nouvelle, l’indignation a été immense. Avec Al-Hoceima pour épicentre, un mouvement de protestation d’une puissance inédite va gagner toute la région et, au-delà, d’innombrables villes du Royaume. (...)
Force est de constater que le combat pour la démocratie au Maroc est plus que jamais à l’ordre du jour. Le mouvement du Rif en est une éclatante démonstration. Avec lui, on peut dire que ce combat a mûri, a gagné en profondeur et en précision de tir. A l’opposé, le constat est plus qu’amer. Les quelques avancées en matière de libertés et de droits qui ont été arrachées de haute lutte au sortir des décennies les plus noires dans l’histoire du Maroc indépendant sont en train d’être remises en cause par un pouvoir qui se targue d’être exemplaire quant au respect des droits humains.
Nous, signataires de cet appel, estimons que le moment est venu d’une mobilisation de tous les démocrates qui ont « le Maroc au cœur » pour dénoncer la dérive sécuritaire des autorités marocaines et la répression qui n’a cessé de s’abattre sur les protestataires du Rif. Pour soutenir la lutte exemplaire du Hirak et donner le plus large écho à ses justes revendications. Pour exiger la libération de tous les détenus de ce mouvement citoyen qui a ouvert au peuple marocain une nouvelle voie dans son combat pour la dignité, la justice sociale et la démocratie.