
Le soir du dimanche 23 mai, un instant de gêne a parcouru le monde politique et l’ensemble du pays à la découverte de la prestation du président Macron.
Sur les réseaux sociaux, les réactions fort peu enthousiastes ont fusé et laissé transparaître, de la part de bon nombre de personnes, une forme de questionnement sur ce que signifie aujourd’hui la parole présidentielle et, incidemment, la parole politique.
Le contenu de « l’entretien » ne peut agir sur le sens commun du pays. Sa signification politique est en effet nulle sinon que, n’en ayant justement pas, elle enterre la politique. Enfin, l’intervention du groupe de Metal Ultra vomi, si elle laisse quelque chose, sera une odeur, celle de l’atteinte à la présidence de la République.
Coup marketing
Ardemment défendue par le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, cette opération de communication se heurte à deux prises à revers de la logique promue : d’abord les adeptes de ces YouTubeurs ne souhaitaient peut-être pas cette irruption du président ; ensuite et surtout, le moment ludique et dénué de message d’Emmanuel Macron avec les YouTubeurs n’a pas servi la fonction présidentielle. (...)
en l’espèce, il s’agit de montrer que le chef de l’État pense et agit comme le spectateur ou l’acteur lambda des chaînes YouTube des deux autres protagonistes. D’une certaine manière, Jupiter est tombé dans la piscine du Loft. (...)
Triviale Poursuite
Depuis plusieurs années la quête de nombre de responsables ressemble à la fois à la quête de leur médiatisation à tout prix et, consécutivement, de la trivialisation de la parole politique poussée à ses plus insignes conséquences. (...)
« Toucher les citoyens qu’on ne touche pas d’habitude », « faire passer un message à ceux qui sont les plus éloignés de la politique » sont des phrases maintes fois entendues qui constituent l’argument récurrent de la tentation des politiques à intégrer les codes de la télévision de divertissement (avec ses déclinaisons sur YouTube, etc.) et de la télé-réalité. L’argument vire vite à l’alibi impuissant. In fine, il apparaît très simplement que les politiques sont devenus des peoples comme les autres. (...)
En recherche de notoriété, nombre de responsables politiques ambitionnent davantage de passer chez un animateur de divertissement que d’organiser un colloque ou de donner une roborative tribune politique à un grand quotidien du pays. Marlène Schiappa excelle dans ce registre de la course à l’alouette hanounienne. (...)
Tandis que le ministre Jean-Michel Blanquer répond au téléphone aux questions de l’animateur de « Touche pas à mon poste » sans que ni les enseignants ni les élèves aient pu obtenir lesdites réponses par des canaux normaux ou, du moins, habituels. Quant à Barbara Pompili, elle a participé à « Top Chef ». Participer à ces émissions implique d’en accepter les codes, codes qui sont ceux de l’industrie commerciale du divertissement.
Cette tentation du saut dans le vide médiatique et politique ne touche d’ailleurs pas que les seuls partisans du président de la République. La France insoumise (LFI) a quelques récurrentes velléités de s’incruster d’une manière ou d’une autre dans des programmes qui, pour être élégant, cultivent la trivialité la plus intense, afin de toucher un public qu’ils pensent ne pas toucher habituellement. C’est ainsi que Raquel Garrido est devenue chroniqueuse dans l’émission de Cyril Hanouna en même temps que l’ancienne porte-parole de LR Laurence Saillet, par ailleurs membre du Comité Laïcité République. Leurs prises de becs sont supposées refléter le débat politique au sein de la société française. Jean-Luc Mélenchon a également succombé au charme de C8 en se rendant sur le plateau de Cyril Hanouna afin d’y trouver « asile politique ».
Il existe une soif d’image du monde politique qui étouffe le besoin de message politique. Le pis-aller semble être les talk-shows permanents d’une chaîne comme CNews, qui partage la même loge de maquillage que les invités de Cyril Hanouna.
Le président est devenu un people comme les autres
Il y a cependant une différence de degré entre ce qu’un président et un candidat peuvent faire. Il y a aussi une différence de degré dans l’esthétique, les thèmes et le langage qui sont utilisés pour faire des incursions dans le domaine du divertissement trivial. (...)
La place du président de la République n’est pas plus chez Carlito et McFLy que celle du ministre de l’Intérieur à « Faites entrer l’accusé ». C’est le minimum qu’implique la fonction exercée par chacun. Il y a cependant, dans cette affaire, quelque chose qui dépasse la question du respect de la fonction présidentielle, c’est le maintien du pouvoir des lieux lorsqu’ils sont des lieux de pouvoir institutionnel de la République. L’épisode de dimanche porte un coup au pouvoir de ce lieu qu’est le Palais de l’Élysée qui, en souffrant de cette atteinte, risque d’être moins perçu qu’auparavant comme un lieu de pouvoir.