
Depuis des semaines, les journalistes s’inquiètent du comportement du nouveau Président de la République à leur encontre. Que s’est-il passé ?
Emmanuel Macron a du génie mais des paradoxes, des contradictions et des tentations. Il avait tout planifié dans son ascension politique, y compris son rapport à la presse.
Acte I
François Hollande n’a que très peu utilisé la presse people, il en a été surtout victime. Emmanuel Macron, lui, s’en est servi sans parcimonie et avec maîtrise. Combien de fois a t-il fait la Une de Paris Match ? Cinq fois. Et ce n’était pas un homme qu’il mettait en scène mais un couple. Emmanuel et Brigitte au Touquet, Emmanuel et Brigitte au Parc, Emmanuel et Brigitte à la plage. Sa notoriété, au départ limitée aux petits cercles business parisiens, a crû par la peopolisation.
Puis, pendant la campagne, il a accepté à de nombreuses reprises que des caméras de télévision entrent jusque chez lui pour obtenir des confidences intimes. Construire son personnage. (...)
il a su utiliser la presse comme d’autres avant lui (Sarkozy). Il sait qu’il est un « bon client » pour les journalistes en mal de copie. Il est un terrain inexploré, une terre inviolée, un être nouveau et une belle gueule sur papier glacé. Il prend la lumière, tout çà se vend.
Fin de l’épisode conquête.
Acte II
Puis après le premier tour de la présidentielle, l’affaire est dans le sac. Plus besoin de ronds de jambe. Apparaît un nouveau Macron. Pour ses amis, son équipe, ses soutiens il organise une soirée dans le restaurant parisien La Rotonde. Alpagué à la sortie par les journalistes qui lui rappellent qu’il n’a pas encore gagné et que sa petite fiesta fait écho au mémorable Fouquet’s de Nicolas Sarkozy, il laisse poindre un agacement qui dit tout : « je n’ai pas de leçons à recevoir du petit monde parisien ». En clair, je vous emmerde. Fermez le ban.
Vient la suite, la victoire, le Louvre, la passation. Et la métamorphose eut lieu. Ganymède devient Jupiter. L’Olympe devient impraticable aux communs des mortels. Les grilles de l’Elysée ouvertes à tous les vents sous son prédécesseur, se referment. (...)
Jupiter protège ses demi-Dieux et la presse est déjà furieuse. « On va en baver », se disent entre eux les journalistes en boucle. Mais c’est ainsi et c’est voulu. Le responsable de la presse Sylvain Fort ne répond jamais ou très rarement au téléphone. La presse est bel et bien tenue à distance. Emmanuel Macron, on l’a compris, sera l’absolu contraire de François Hollande qui répondait aux textos, multipliaient les rencontres et invitaient les journalistes à sa table quand ce n’était pas le contraire !
Mise au pas
Macron veut mettre les journalistes à leur place sinon au pas à l’heure des chaines d’infos. Pour l’un de ses premiers déplacements à l’étranger au Mali, l’Elysée annonce vouloir décider qui seront les journalistes qui l’accompagneront. Dans les rédactions, on regimbe, on râle, on s’inquiète. Plusieurs sociétés des rédacteurs pondent un communiqué pour s’insurger de ces nouvelles pratiques.
Le calme reviendra mais l’inquiétude demeure. L’argument élyséen de la sécurité des personnes accompagnant le président ne vaut pas lourd. La vérité est qu’Emmanuel Macron veut des journalistes en fonction des thèmes de ses voyages. (...)
Voilà le nouveau principe. La séparation des genres, base de la démocratie n’est plus respectée, Emmanuel Macron veut la rétablir. Son constat est justement un total mélange des genres entre la politique, les médias et la justice. La politique et la presse ont des rapports trop mêlés, s’appuyant l’une sur l’autre pour entretenir « le système », s’enfonçant conjointement l’une et l’autre dans l’opprobre de l’opinion. Pour Emmanuel Macron, ce mélange existe aussi entre la presse et la justice. Pour nettoyer les écuries d’Augias, en finir avec la corruption politique, nombre de juges utilisent les médias pour rendre publics leurs soupçons et faire pression sur les suspects. Ils brisent le secret de l’instruction parce que trop longtemps les affaires ont été étouffées par la hiérarchie judiciaire. Pour la presse ces scoops sont pains bénis, le bruit fait vendre et la cause est bonne.
La tentation du bonapartisme
Le jeune président veut ramener la presse à sa place et au fond. En finir avec la mousse le dérisoire et l’absence d’arguments. Séparation des genres et des journalistes pointus.
Faut-il s’inquiéter en réalité ? Non. Le président a raison. La presse est la première à savoir qu’elle ne rétablira sa légitimité auprès de l’opinion que si elle fait en somme ce que Macron a fait avec la politique. Mais si le but est louable, la méthode était-elle la bonne ? Limiter les prises de parole, fermer les portes, jouer à Mitterrand et Jupiter ne suffira pas. Pour deux raisons.
La première est économique. (...)
De meilleurs journalistes, ce sont des journalistes rassurés sur leur avenir et mieux payés. Emmanuel Macron devra, s’il veut une autre presse, améliorer les conditions de son existence économique.
Mais l’inquiétude calmée, il reste un ton désagréable dans la musique macronnienne. Les journalistes même « faibles » ont une vertu par instinct et par fonction, chercher la petite bête. C’est agaçant, ce n’est pas « sérieux » mais c’est une imperfection qui doit demeurer intouchable. Même la « mousse » qu’ils font, même leur chasse en meute, même leurs questions jugées « déplacées » sur leur vie privée, ils ont cette vertu de flairer, de deviner, de voir, la faille d’un ministre, la faiblesse d’un gouvernement et les risques d’une dérive du pouvoir. Parlons clair : la presse « sent » chez Macron la possibilité sinon la tentation du bonapartisme. Elle crie d’avance. Elle a, « en même temps », tort et raison.