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Libération
Maintenant je sais que je suis chez moi partout…
Article mis en ligne le 15 juillet 2021

J’ai grandi entre la Goutte-d’Or, un quartier populaire de la capitale, et Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. J’ai grandi entre la violence des trafics de drogue et la solidarité des voisins, entre les descentes de police et les mariages colorés…

Tous les étés, nous retournions avec ma famille en Tunisie, dans un village nommé Zarzis. C’est là que j’ai découvert la terre, les promenades dans les champs d’oliviers de mes ancêtres, les poulaillers, les potagers. Ils m’ont appris comment planter, comment arroser, à comprendre l’importance des saisons. Je voyais leurs visages s’illuminer quand on atterrissait sur le tarmac de l’aéroport Djerba-Zarzis.

Mes grands-parents sont les premiers écolos que j’ai rencontrés.

Je me serais enchaînée aux oliviers de ma famille si on avait tenté de les raser, j’aurais bloqué des routes pendant des heures pour préserver nos terres. Alors pourquoi là-bas et pas ici ?
Nous sommes légitimes

Quand mes grands-parents sont arrivés en France dans les années 70, on leur a fait comprendre qu’ils n’étaient pas chez eux, qu’ils ne le seraient jamais. Ma mère me raconte comment elle les a vus se faire humilier par leurs patrons, par la machine administrative déshumanisée, comment elle les a vus baisser la tête en disant presque « excusez-nous d’être là ».

Cette humiliation, c’est notre héritage, « on porte l’offense subie par nos parents » comme le dirait Faïza Guène dans la Discrétion. On a grandi avec ces ordres dans nos têtes « ne fais pas de vagues », « sois contente de ce que tu as ». On grandit avec cette idée qu’on ne sera jamais chez nous. Difficile alors de s’engager dans une lutte, comment se sentir légitime ?

Cet attachement à la terre, que m’ont communiqué mes grands-parents, aurait dû me conduire à vouloir la défendre coûte que coûte, en rejoignant très tôt le mouvement climat. Mais pour moi, et pendant très longtemps, le mouvement écolo se résumait à sauver les abeilles et les baleines, importantes certes, mais déconnectées de ma réalité.

Nous, on grandit près des sites Seveso (1), on subit des canicules de plus en plus intenses. Entourés de béton, nos poumons sont noircis par la pollution de l’air et les petits sont tous malades. Nous faisons partie des plus touchés par le dérèglement climatique, mais surtout, nous sommes les premiers sacrifiés par cette volonté effrénée de produire toujours plus, d’aller plus vite, et d’exploiter davantage.

Alors j’ai décidé de militer, de désobéir, de prendre de la place et de faire entendre ma voix pour ne pas laisser mon avenir entre les mains de celles et ceux qui ne sont pas concernés. (...)

Je me bats contre une écologie qui exclut certains pour le privilège des autres. Celle qui veut nous faire croire que manger bien, avoir un logement digne et respirer un air pur, ça se mérite et qu’il faut payer pour y accéder.

Je me bats pour une écologie populaire qui renverse les normes actuelles. (...)

Maintenant, je sais. En bloquant des entrepôts Amazon, des banques, en décrochant des portraits de Macron ou en organisant des marches pour le climat, je sais qu’en luttant en France je lutte aussi en Tunisie. Car la lutte n’a pas de frontières.

Je pensais être chez moi nulle part : trop française pour être arabe, trop arabe pour être française.

Maintenant je sais que je suis chez moi partout.