
Ils ne voulaient pas entendre parler de réchauffement climatique, encore moins reconnaître que les activités humaines en sont les principales responsables, malgré le consensus scientifique international. Ils occupaient les plateaux télévisés et les colonnes de médias bienveillants, à l’image d’un omniprésent Claude Allègre. Les climato-sceptiques ont-ils disparu ? Pas vraiment. Ils sont encore très actifs dans les pays anglo-saxons. En France, de nouvelles formes de climatoscepticismes, plus discrètes, font leur apparition, du « climato techno-béat » qui mise tout sur la technologie, au climato-opportuniste qui profite de la menace pour faire des affaires. Le point sur ces nouveaux marchands de doutes.
(...) Les propos de Claude Allègre l’amènent à être disqualifiés par plus de 600 chercheurs en sciences du climat qui publient un courrier de protestation contre son ouvrage, dans lequel ils relèvent de nombreuses erreurs factuelles et des dénigrements [2]. Aujourd’hui, mis à part le philosophe Luc Ferry toujours prompt à faire la promotion du dernier livre d’Allègre dans les pages du Figaro [3], rares sont les médias qui continent de lui ouvrir leurs colonnes.
Le climatoscepticisme « à l’ancienne » en voie de disparition
A défaut de relais médiatiques, Claude Allègre officie cependant à l’Académie des sciences aux côtés de Vincent Courtillot, géophysicien et climatosceptique revendiqué. Cette instance, qui concourt à la représentation de la science française, doit adopter un avis sur le climat, en prévision de la conférence internationale fin novembre à Paris (COP21). Or, comme le relate Le Monde, la nouvelle charte de l’expertise de l’Académie prévoit qu’en cas de désaccord au sein d’un groupe de travail, un avis minoritaire – comme celui de Vincent Courtillot qui jette le doute sur la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique et met en avant l’influence du Soleil – peut être annexé à l’avis majoritaire [4]. Une telle annexe ferait très mauvaise figure auprès de la communauté internationale lors de la COP21... (...)
« Depuis le sommet de Rio de 1992, il y a dans le milieu scientifique et dans certaines disciplines, des gens qui sont hostiles à l’environnement, analyse Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS [5], contactée par Basta !. L’environnementalisme est perçu comme un frein à la science, comme rétrograde et contraire à l’idée de progrès scientifique et technique. Si les climatosceptiques affichés et explicites sont en petit nombre, l’environnementaliste clive le milieu scientifique de façon forte en France, mais aussi aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. »
Le climatoscepticisme, une spécialité anglo-saxonne
En France le climatoscepticisme demeure plutôt le fait d’individus isolés. Au contraire des États-Unis et d’autres pays anglosaxons où il existe une nébuleuse de groupes d’influence et de think tank contestant l’existence du réchauffement climatique. Ces groupes sont très proches du parti républicain. (...)
Début mai, de l’autre côté du Pacifique, Maurice Newman, un proche conseiller du Premier ministre australien Tony Abbott, affirme que le réchauffement climatique est une invention défendue par les Nations unies pour créer un nouvel ordre mondial (...) opposé au capitalisme et à la liberté [7]. Le Premier ministre Tony Abbott (parti libéral) est lui-même un « climato-sceptique » notoire, ayant qualifié le lien entre activité humaine et réchauffement climatique de « connerie absolue ». « J’observe que plus on monte en responsabilités et en âge – le point culminant étant le chef d’entreprise de 60 ans ou le parlementaire – plus ce climatoscepticisme est clairement exprimé », note Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue et membre du Giec [8], contactée par Basta !.
En réponse aux climatosceptiques, qui refusent de transformer une économie mondiale reposant sur la consommation de combustibles fossiles, la dynamique des mouvements appelant citoyens, gouvernements et entreprises à prendre leur responsabilité, monte en puissance. (...)
Le climato-techno-béat
Difficile aujourd’hui de nier frontalement le changement climatique et la contribution principale de l’activité humaine. Les citoyens français seraient de moins en moins nombreux à être climatosceptiques et à nier le rôle des activités humaines. [9]. « En revanche, le champ du climatosepticisme s’est déplacé, relate Pablo Servigne, chercheur indépendant, co-auteur de Comment tout peut s’effondrer (notre entretien). On n’est plus face à des gens qui dénient le réchauffement climatique mais face à des personnes qui pensent que la technologie va nous sauver. » Très médiatisée, Maud Fontenoy, ex-navigatrice ayant intégré la commission exécutive du parti Les Républicains en tant que déléguée à l’environnement, en est une illustration parfaite. Elle se dit « viscéralement engagée sur la protection de l’environnement depuis plus de quinze ans », tout en défendant pêle-mêle le diesel, le nucléaire, les OGM et le gaz de schiste. Un grand écart totalement assumé par celle qui annonce promouvoir une écologie « réaliste et modérée ». (...)
Dans la préface de son dernier livre Les raisons d’y croire, elle remercie d’ailleurs de nombreux grands patrons, parmi lesquels le président du Medef Pierre Gattaz, l’ancien PDG de TF1 Patrick Le Lay, le président du groupe Avril (anciennement Sofiprotéol) Xavier Beulin (également président de la FNSEA), mais aussi Vincent Bolloré, dont le groupe fait partie de la trentaine de soutiens de la Fondation Maud Fontenoy [10]. Tous promeuvent d’une manière ou d’une autre la croissance verte et les nouvelles technologies – à l’image des véhicules électriques encouragés par la loi sur la transition énergétique portée par Ségolène Royal (notre décryptage). « Les mythes sont toujours plus forts que les faits, analyse Pablo Servigne. Notre mythe, c’est la croissance infinie, la techno-science qui domine la nature. » (...)
Le climato-washing
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a récemment rendu public la liste des sponsors de la COP21. Y figurent notamment deux firmes, Engie (ex GDF Suez) et EDF. Comme le souligne le contre-rapport de notre Observatoire des multinationales, Engie s’affiche volontiers comme un champion de la transition énergétique. Pourtant, seuls 4 % de la production d’énergie du groupe sont issus de sources renouvelables. Le reste provient du gaz, du charbon – qui émet 30 % de plus de CO2 que le gaz naturel –, du nucléaire et des grands barrages, érigés notamment en Amazonie brésilienne avec des impacts sociaux et environnementaux désastreux. Même cas de figure pour EDF qui n’a rien, ou presque, mis en œuvre pour augmenter ses capacités de production en matière d’énergies renouvelables. Face au climato-washing des industriels, les politiques continuent de nier, non pas le réchauffement climatique en tant que tel, mais les conséquences à en tirer.
Même cas de figure au sein des dirigeants de l’Union européenne. (...)
« La manière dont l’Union européenne agira les cinq prochaines années aux niveaux international et régional sera déterminante pour décider si nous évitons un changement climatique catastrophique, interpelle Pascoe Sabido, chargé de campagne pour l’Observatoire européen des entreprises (CEO). Mais Cañete & co sont trop proches de l’industrie des fossiles pour arrêter de foncer tête baissée dans un désastre climatique ». Comme l’a déjà souligné Basta !, Miguel Arias Cañete a présidé jusqu’en 2012 une compagnie pétrolière domiciliée dans un paradis fiscal et dont il est toujours actionnaire. Il est aussi critiqué par les écologistes espagnols pour avoir autorisé l’extraction de gaz de schiste et la fracturation hydraulique.
Le climato-opportuniste
Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, le martèle : elle a la volonté de ne pas faire de l’écologie punitive. En creux se dessinent des motivations électorales. (...)
Le climato-je-m’en-foutisme
Il y a également ceux qui n’affichent aucune position sur un sujet qui aura pourtant des conséquences graves sur les citoyens. « Dans leur déclaration politique, certains partis ne parlent pas de changement climatique : c’est le Front national. Je le comprends donc comme climatosceptique non revendiqué », estime Valérie Masson Delmotte. La vision climatosceptique du FN se traduit par l’abstention ou l’opposition quasi-systématique des conseillers régionaux frontistes sur les délibérations concernant les questions environnementales, comme le montre notre enquête. En février 2012, le groupe FN en Nord-Pas-de-Calais a par exemple voté contre une évaluation de la lutte contre le changement climatique.
« Plus on va aller vers la possibilité d’un accord contraignant lors de la COP21, plus le climatosceptiscisme va s’exprimer fortement, craint Valérie Masson Delmotte. Je redoute un scénario comme en 2009, au sommet de Copenhague, où il y avait eu ce climategate, avec cette volonté de trainer dans la boue les gens du Giec. » (...)