
Malcom Ferdinand est philosophe. Dans son livre « Une écologie décoloniale », l’auteur initie une rencontre entre deux mouvements : les mouvements anti-racistes et les mouvements écologistes. Un nouveau monde se dégage : un monde fait de justice et de diversité. Il revient, dans cet entretien pour l’Archipel des Alizées, sur sa pensée et sur les liens qu’il entretien avec la Martinique.
Je vois plusieurs clés d’explications à ces inégalités territoriales qui traversent la France. La première c’est la centralisation des pouvoirs qui est propre au gouvernement français qui amène une organisation administrative peu flexible aux réalités locales. Il y a également une forme de centralisation aussi des opportunités professionnelles, culturelles et éducatives dans les grands centres urbains. Cette dynamique est très prégnante dans les Outre-mer, malgré notre éloignement avec l’Hexagone. En Martinique, dès qu’on a 18 ans l’une des voies les plus valorisée consiste à quitter son territoire pour aller faire ses études à Paris, Bordeaux ou Toulouse. Il va de soi qu’une fois le diplôme acquis, les jeunes souhaitent retourner dans les Antilles pour participer au développement du territoire, à l’éducation etc… Néanmoins, si la volonté est là, la réalité est beaucoup plus compliqué : il y a aux Antilles une réelle difficultés à trouver un emploi satisfaisant, il y a moins d’opportunités sociales et économiques, des marchés bouchés où il est difficile d’entreprendre. L’un dans l’autre, nombre de personnes se retrouvent piégées et finissent par passer l’intégralité de leurs carrière professionnelle en France hexagonale. Néanmoins, ces initiatives citoyennes se mettent en place telles que le projet « Alé Viré » aidant les jeunes à trouver un emploi en Martinique. (...)
je crois que les origines de ces inégalités à mon avis sont à trouver dans la constitution même de ces territoires qui n’ont pas été conçus historiquement selon le même schéma de développement que la France hexagonale. Au contraire, ce sont des territoires qui étaient prévus et vécus uniquement pour fournir des denrées alimentaires à la France hexagonale. L’histoire coloniale esclavagiste a fortement impacté les possibilités de construire une économie diversifiée ou d’avoir une réellement unité sociale. Cette même histoire esclavagiste reste le témoin des grandes inégalités à l’œuvre en métropoles et Outre-mer. (...)
. Ce qui rassemble par exemple la Martinique et la Nouvelle-Calédonie, c’est le fait que ce sont des archipels qui se situent à la périphérie politique et géographique de la France hexagonale. Cette notion de périphérie a le paradoxe d’ouvrir à l’altérité autant que de renvoyer à l’oppression qu’a connu ces territoires. Néanmoins, utiliser le mot “Outre-mer” ou territoire “ultramarins” peut cacher la diversité qui imprègnent aujourd’hui ces territoires : je ne connais aucune personne qui se définisse en disant “je suis de l’Outre-mer”, ou “je suis un citoyen ultramarin”. Par contre on va dire je suis Kanak, Réunionnais, Martiniquais, Guadeloupéen…
Redéfinir ces territoires par leurs singularité géographique ou anthropologique est une manière de sortir de l’homogénéisation factice. Cela permet également de se poser la question de “qui parle” et quelle importance accorder à cette parole. Une nouvelle manière de considérer ces territoires c’est déjà de les écouter, de comprendre comment eux-mêmes se pensent dans leur diversité, se présentent et s’expriment.
Autre problème, la manière dont la France s’approprie ces territoires. Au-delà de l’homogénéisation de ces territoires, dans les représentations politiques et géographiques, on n’inclut pas les Outre-mer. Cette dynamique n’est d’ailleurs pas propre à la France, on retrouve cette exclusion dans les autres pays qui sont également composés d’ancien territoires colonisés tels que les Etats-Unis avec Puerto Rico, le Royaume du Pays-Bas avec Curaçao. Enfin, il y a un autre problème de langage, qu’on retrouve dans pas mal d’allocutions ou de discours politique : celui de dire que “la France a des îles”, “elle a des territoires ultra marins”. L’utilisation du verbe avoir est problématique : quel est le statut de ce “je” qui se dit “avoir ces territoires” et quel est le statut de ces territoires qui deviennent alors des possessions. La manière de parler des territoires d’Outre-mer est une grande question politique. (...)
. Ce qui rassemble par exemple la Martinique et la Nouvelle-Calédonie, c’est le fait que ce sont des archipels qui se situent à la périphérie politique et géographique de la France hexagonale. Cette notion de périphérie a le paradoxe d’ouvrir à l’altérité autant que de renvoyer à l’oppression qu’a connu ces territoires. Néanmoins, utiliser le mot “Outre-mer” ou territoire “ultramarins” peut cacher la diversité qui imprègnent aujourd’hui ces territoires : je ne connais aucune personne qui se définisse en disant “je suis de l’Outre-mer”, ou “je suis un citoyen ultramarin”. Par contre on va dire je suis Kanak, Réunionnais, Martiniquais, Guadeloupéen…
Redéfinir ces territoires par leurs singularité géographique ou anthropologique est une manière de sortir de l’homogénéisation factice. Cela permet également de se poser la question de “qui parle” et quelle importance accorder à cette parole. Une nouvelle manière de considérer ces territoires c’est déjà de les écouter, de comprendre comment eux-mêmes se pensent dans leur diversité, se présentent et s’expriment.
Autre problème, la manière dont la France s’approprie ces territoires. Au-delà de l’homogénéisation de ces territoires, dans les représentations politiques et géographiques, on n’inclut pas les Outre-mer. Cette dynamique n’est d’ailleurs pas propre à la France, on retrouve cette exclusion dans les autres pays qui sont également composés d’ancien territoires colonisés tels que les Etats-Unis avec Puerto Rico, le Royaume du Pays-Bas avec Curaçao. Enfin, il y a un autre problème de langage, qu’on retrouve dans pas mal d’allocutions ou de discours politique : celui de dire que “la France a des îles”, “elle a des territoires ultra marins”. L’utilisation du verbe avoir est problématique : quel est le statut de ce “je” qui se dit “avoir ces territoires” et quel est le statut de ces territoires qui deviennent alors des possessions. La manière de parler des territoires d’Outre-mer est une grande question politique. (...)
j’ai voulu pour ma part dédicacer ce livre à mes proches mais aussi aux luttes des naufragés et aux pertes écologiques des mondes. Certaines critiques pourront dire que formuler tel mot peut délégitimer un propos en disant que c’est juste quelqu’un qui parle sous le coup de l’émotion. Moi je pense qu’au contraire c’est très sain d’être en colère quand on voit ce qui se passe dans le monde. Comment peut-on rester de marbre face à tous ces naufragés, à ces noyés en Méditerranée, à ce nombre de militants écologistes défendant les forêts et les littoraux qui sont assassinés de manière hebdomadaire, face à cette espèce de bulle dans laquelle nous évoluons et qui nous cache les violences qui perforent nos sociétés. Tout dépend après de ce qu’on en fait de cette colère. Personnellement, la colère contre toutes ces injustices est le point de départ de mon engagement scientifique et citoyen dans le monde. Et de cet engagement naît le livre. (...)