
Engagée depuis l’adolescence auprès des femmes maliennes de sa région - en lutte incessante pour accroître leur autonomie et leur bien-être sur un territoire historiquement sinistrée - Mariam Sissoko, membre du Réseau des horticulteurs de Kayes (RHK), soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, voit aujourd’hui l’agroécologie devenir la norme chez les paysannes.
(...) « On a duré des décennies avec un manque d’eau chronique, des problèmes d’alimentation et de santé. Pas de route, pas de voiture, pas de train. » Pas de mosquée, pas d’organisation paysanne non plus. « Tous les bras valides s’en allaient vers les villes, les pays de la sous-région, la France. »
Plus tard, les migrants prouveront leur fidélité à la terre-mère. Grâce à l’argent de la diaspora et le retour des frères, la région de Kayes connaîtra un essor important. (...)
Dans cette région hémorragique d’hommes, que faire d’utile pour les femmes ? A la sortie de l’école, Mariam enchaîne sur une formation de « matrone ». « Les cousines, les belles-sœurs, les tantes étaient en situation de dépendance et de précarité. » Ce sont les chefs de famille qui réceptionnaient l’argent et les lettres envoyées par les maris ou les frères, partis pour cinq ou dix ans. « Et on ne laissait pas les femmes aller seules au centre de santé pour s’y faire soigner ! C’était dans les habitudes. »
Alors la matrone Mariam joue l’agent de santé bénévole et l’intermédiaire entre les femmes et les maris exilés. Le soir, elles se retrouvent pour boire ensemble le thé vert. « Certaines n’avaient même pas de quoi cotiser les 250 CFA ! » [1] Germe alors l’idée de « se mettre ensemble » pour des petits boulots qui rapporteraient un peu d’argent. (...)
Mariam fait partie des trois femmes qui partent en expédition. Une révélation. « Nous avons rencontré quinze associations, que des femmes. Chez nous, il n’y en avait pas une seule ! » Fabrication de savon, de teintures naturelles, atelier de mouture de grains, alphabétisation, les trois Kayésiennes écarquillent les yeux.
Mariam, particulièrement séduite par l’impression des bogolans - ces tissus maliens aux motifs teintés avec des feuilles et de la terre - retient les étapes du processus. « Nous n’avions pas le matériel, mais en revanche, les mêmes arbres et les mêmes sols ! » De retour à Samé, il faudra quatre tentatives, sur des chutes, pour apprendre à maîtriser l’opération.
Et c’est le grand emprunt pour acheter vingt mètres de tissus blanc, qui donneront dix chemises… immédiatement achetées (...)
Construction d’un moulin et partenariat à long terme
C’est en 1989 que Mariam fait étalage à grande échelle de son sens de l’à-propos et de sa pugnacité. « Nous étions toutes fatiguées de moudre à la main. Pourquoi ne pas mécaniser l’opération ? Il n’existait pas de moulin dans la région. » Oui, mais tout compris, avec l’abri, trois mois de fioul d’avance et la rémunération d’un meunier, il y en avait pour 2,1 millions de CFA. [2] « Les sœurs ne nous croyaient pas capables d’assumer un crédit pour une somme aussi importante. »
L’activité du bogolan en apportera une partie. Un emprunt complète le reste, et chaque femme « cotise » en briques pour l’abri : un maçon veut bien faire le travail si on l’aide à acheminer l’eau et à mélanger le banco. « Une chance, parce que dans le village, c’est la désapprobation : les femmes n’ont pas à se lancer dans ce genre de projet. »
Au soir du premier jour, le mur est monté d’un demi-mètre. Impressionné, quelques hommes rejoignent le chantier, car visiblement, « c’est du sérieux ». La radio locale est derrière. « Les femmes de Samé ont osé. Qui va les aider à installer leur moulin ? » L’affaire est bouclée en une semaine. (...)
Un levier formidable : ce sont 16 associations coalisées, regroupant plus de 4 000 femmes dans six communes limitrophes de Kayes, collaborant désormais avec de grosses organisations comme le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), la Coordination nationale des organisations paysannes maliennes (CNOP) ou le Réseau des horticulteurs de Kayes (RHK) [3] qui regroupe 180 associations totalisant 23 000 maraîchers.
Une notoriété nationale
La Coordination gère aujourd’hui, entre autres, des périmètres de maraîchage et une caisse de microcrédit. (...)
« ce que l’on a engagé, avec tout ça, c’est le renversement d’une situation historique, avec l’avènement d’une agroécologie paysanne qui accroît le pouvoir économique et l’autonomie des familles. Mais aussi un changement des mentalités en vue d’autoriser l’accès à la propriété de la terre pour les femmes, qui leur est refusé par les traditions. »