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L’Humanité
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky « Les exilés ne sont pas fous, ce sont leurs situations qui le sont »
Article mis en ligne le 22 avril 2018
dernière modification le 21 avril 2018

Depuis 2010, la psychologue Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky suit à l’hôpital Avicenne (Bobigny) des demandeurs d’asile victimes de chocs post-traumatiques. Elle nous éclaire sur cet aspect méconnu des conséquences de l’exil forcé.

Qui sont vos patients et qui vous les envoit ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky Je reçois une fois par semaine, ou une fois toutes les deux semaines, des patients demandeurs d’asile qui arrivent avec des symptômes psychotraumatiques qui se traduisent par une impossibilité de dormir, des images insupportables qui leur reviennent et un sentiment de ne pas être dans le réel… Ces personnes sont prises en charge dans le service où je travaille, souvent pour de longues psychothérapies, qui peuvent durer des mois, voire des années. L’objectif est bien sûr d’essayer de les soulager de cette douleur. Parfois, ce sont des travailleurs sociaux ou des médecins qui repèrent leur souffrance psychique. Mais, dans la plupart des cas, ces personnes nous sont amenées par des compatriotes qui les voient en grandes difficultés…

Votre service est donc identifié comme un lieu de confiance ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky L’hôpital Avicenne a été créé en 1934 en tant qu’hôpital franco-musulman. Aussi, dès l’origine, il a été conçu pour recevoir et soigner des personnes parlant d’autres langues. La tradition d’ethnopsychiatrie y est assez ancienne et connue par réseau. Ce qui n’est pas forcément le cas dans les pays dont sont originaires les gens que l’on reçoit. Pour eux, le psychologue serait un luxe… (...)

Quelle est leur demande quand ils arrivent devant vous ? Comment leur expliquez-vous votre rôle ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky Ils veulent tout simplement pouvoir dormir, arrêter de faire des cauchemars épouvantables, mener une vie normale. Bref, arrêter de souffrir. Le premier échange est d’abord un échange de paroles. (...)

Dans quelle(s) langue(s) se déroulent les consultations ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky La question de l’interprétariat est très intéressante car, pour le genre de personnes que je reçois, avoir recours à un tiers est important. La particularité du trauma est d’« effracter » la personne et de lui envoyer des images extrêmement violentes qui empêchent la parole. Dans le cas des consultations post-traumatiques, l’interprète permet de mettre en dialogue le patient et le clinicien, il a un rôle de médiateur. Cela nécessite un positionnement très subtil, de la part des interprètes, qui est garanti par le fait que ce sont des gens avec qui nous travaillons régulièrement et que nous connaissons très bien. (...)

Ces personnes arrivent donc avec un syndrome post-traumatique dont les principaux symptômes sont les cauchemars et les reviviscences, c’est-à-dire des violences qui s’imposent continuellement dans la tête de manière imagée, des formes de dissociations traumatiques, qui font qu’on « n’accroche plus le réel », tellement on est pris dans ce passé devenu un présent de la violence.

Comment les rassurez-vous ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky Il faut leur dire qu’ils ne sont pas fous, c’est extrêmement important. La première chose qui les soulage est de savoir qu’il s’agit d’un état temporaire. (...)

Quel peut être le rôle de la religion ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky Leur foi les aide énormément. Pour nous, il s’agit d’un levier thérapeutique extraordinaire. La prière est une manière de retrouver une voix. Et le fait de croire à une justice divine peut aussi aider à surmonter les inexplicables injustices auxquelles ils ont fait, et font encore, face. Ce sont souvent des gens croyants, musulmans pour la plupart, mais très ouverts, bien loin des caricatures. Ils ont souvent en horreur les violences commises au nom de leur religion instrumentalisée. Ils ont dû les fuir. Aussi, ce ne sont pas des gens qui vont se laisser embrigader, bien au contraire. Ils savent pertinemment ce qu’est l’intégrisme, car ils l’ont fui. (...)

Peut-on « guérir » de cela ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky Non, l’idée n’est pas de leur faire oublier ce qu’ils ont vécu. Mais de mettre à distance ces images réminiscentes et de les transformer en un événement qui va être inséré dans le passé de ces personnes. L’important est de les aider à se retrouver en tant que sujet, à retrouver une place, un avenir dans la société d’accueil.

Quel est votre regard sur leurs conditions d’accueil en France ?

marie-caroline saglio-yatzimirsky Leur possibilité de « retrouver une place » est limitée par un contexte de rejet institutionnel. (...)

Vous insistez avec eux sur l’importance de ne pas s’enfermer dans le rôle de la victime…

marie-caroline saglio-yatzimirsky Oui, je dois les replacer en tant qu’acteurs de leur parcours. Il leur faudra une force incroyable pour sortir de la rue, étant donné les trop faibles possibilités d’hébergement des demandeurs d’asile. Sortir aussi de situations inextricables et absurdes, notamment pour ceux qui sont sous le coup d’une procédure Dublin, qui fait des ravages psychiques terribles. Mais l’expérience me permet de dire que, s’ils tien- nent psychiquement, ils arriveront à s’inscrire dans la société d’accueil.