Dans une tribune au « Monde », un collectif de présidents d’associations alerte sur les coupes budgétaires relatives aux structures d’accueil, notamment dans le domaine de la santé mentale, pourtant érigée en « grande cause nationale ».
Dans un silence pesant, les financements publics affectés à l’accompagnement des personnes exilées, en particulier dans le domaine de la santé mentale, s’effondrent. Ces derniers mois, un nombre croissant d’associations, œuvrant depuis des décennies à la croisée du soin, du droit et de l’accueil, voient leurs budgets amputés, parfois de manière brutale, arbitraire et sans explication.
Les crédits alloués par le ministère de l’intérieur sont arrêtés ou réduits. Dans d’autres cas, ce sont les subventions de collectivités locales qui disparaissent. Les premières victimes de cette politique de rétraction sont les plus vulnérables : femmes, hommes et enfants en exil, survivants de conflits, de violences, de tortures, qui peinent déjà à retrouver une vie digne. Ces coupes ne sont pas de simples ajustements budgétaires, mais la mise à mort méthodique d’un secteur essentiel de notre société, une attaque frontale contre les structures de soin et de solidarité, et une insulte à l’intelligence collective.
Les chiffres sont connus : près de 70 % des personnes en exil ont vécu des violences le long de leur parcours – guerre, torture, violences sexuelles, enfermement –, selon le Comité pour la santé des exilés, entre autres ; et une personne sur cinq souffre de troubles psychiques sévères dont des psychotraumatismes et des dépressions, d’après une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé. Faute de soins, ces pathologies s’aggravent et deviennent chroniques. Elles condamnent à l’isolement, entravent les parcours d’insertion et pèsent sur l’ensemble du tissu social.
Dans ce contexte, saborder les structures spécialisées dans l’accueil et le soin psychique est un acte de violence et un non-sens médical, économique et social. Les associations concernées reposent en général sur des modèles mixtes, mêlant fonds publics, bénévolat et dons.
Le désengagement de l’État provoque un effet domino : perte des équipes expérimentées, réduction de l’accueil, augmentation des délais de soins, puis fermeture. Ce sont des vies qu’on condamne. Ce ne sont pas des ajustements techniques : c’est un choix politique délibéré qui se traduit par la fragilisation des acteurs de terrain, l’invisibilisation des souffrances, le report sur des structures saturées ou l’abandon pur et simple.
Mission de service public
Pendant que les structures de soins ferment, les budgets alloués au contrôle migratoire explosent : plus de 150 millions d’euros par an seraient mobilisés pour l’évacuation des campements, selon le rapport sur les campements et bidonvilles en France du Conseil de l’Europe en 2020 ; et des centaines de millions pour bloquer les frontières. (...)
Nous ne faisons pas face à une crise passagère, mais à un tournant : celui où l’État choisit de sacrifier les structures associatives, pourtant indispensables à la santé publique, à la cohésion sociale et à l’hospitalité. Les associations ne sont pas des supplétifs. Elles sont des piliers créatifs pour proposer des soins essentiels.
Le paradoxe est glaçant : la santé mentale a été érigée en « grande cause nationale » de l’année 2025, sans que celle-ci soit au cœur des enjeux financiers et politiques de l’Etat. Partout en France, les associations tiennent à bout de bras un tissu de soins, d’écoute, d’orientation, de médiation et de défense des droits. Elles remplissent une mission de service public. Elles innovent, forment, accompagnent, soignent et ce, malgré l’épuisement, le mépris institutionnel et les coupes. C’est aujourd’hui que se décide quel type de société nous voulons être : une société de soin ou une société de rejet.