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Match France-Turquie : pourquoi il n’a pas été annulé
Jérôme Latta est journaliste indépendant, co-fondateur des Cahiers du football
Article mis en ligne le 15 octobre 2019

Alors qu’Erdogan est entré en guerre contre Kurdes, la France joue contre la Turquie ce lundi 14 octobre. Face à cette situation, les appels à l’annulation du match de football se multiplient.

Jérôme Latta. Déjà, cette actualité ne fait réagir qu’une sphère militante très restreinte, sans réel écho, par exemple, dans la « twittosphère football ». Elle émane de gens qui ont des raisons politiques louables de réclamer une telle mesure, mais qui n’ont pas vraiment conscience de sa faisabilité et de ses conséquences. Je ne vois pas comment et qui pourrait annuler ce match pour des motifs politiques. Les pouvoirs publics peuvent annuler un match pour des raisons de sécurité – s’il y a des incidents aux abords du stade par exemple –, mais une annulation préalable au motif de boycott ou de sanction de la Turquie me semble impossible. Qui va prendre la responsabilité de laisser sanctionner l’équipe de France d’une défaite administrative décidée par l’UEFA ? Les appels au boycott de manifestation sportive, historiquement, ont été plutôt rares et peu suivis d’effets. (...)

Vendredi dernier, les joueurs turcs ont effectué un salut militaire pour célébrer leur victoire et soutenir l’intervention en cours contre les Kurdes. Est-ce qu’il y a des précédents de ce genre de scènes ?

Des exemples de politisation de match entre sélections, il y en a, notamment ceux impliquant impliquant les nations des Balkans, où il y a des incidents réguliers. On se rappelle du match Serbie-Albanie en 2014, où un drone portant un drapeau albanais avait survolé le stade, provoquant une bagarre générale. Dans le cas de la Turquie, beaucoup de footballeurs s’impliquent personnellement aux côtés du régime d’Erdogan. Il y a eu des polémiques à propos d’une photo de l’international allemand Mesüt Özil avec Erdogan – le président turc était témoin à son mariage. Ce salut militaire revêt une forme de provocation, de soutien très assumé à la guerre que mène Erdogan contre les Kurdes. Cela pourrait poser des problèmes à la sélection turque si l’UEFA s’en empare et considère ce geste comme une expression politique, censée être bannie des stades. (...)

Mais ce genre de sanction reste assez rare dans la mesure où, d’une manière générale, les fédérations, les sélections et les joueurs sont très prudents dans

l’expression politique. (...)

Est-ce qu’on peut réellement dissocier sport et politique ?

Non, on ne peut pas. Il y a beaucoup d’opportunités d’expression politique ou de soutien à un gouvernement dans les stades. Mais il existe une volonté assez partagée de sanctuariser le sport contre les ingérences politiques. Non sans hypocrisie, dans la mesure où la politique pénètre dans le sport de toutes parts. Mais on accepte difficilement qu’il soit explicitement instrumentalisé à des fins politiques. Des régimes extrêmement divers, comme les régimes fascistes et communistes ‑ mais pas exclusivement –, ont instrumentalisé le sport à des fins idéologiques, pour faire l’apologie de leur système politique et de leur grandeur nationale. La question se pose encore de nos jours quand un pays douteux sur le plan des droits de l’Homme se voit confier une grande compétition sportive (...)

En pareil cas, des Etats utilisent le sport pour valoriser leur image, développer leur économie et soutenir leur diplomatie. Il y a des formes plus ordinaires de récupération politique, quand des élus s’affichent avec les vainqueurs. Dans un sens inverse, on a vu beaucoup de polémiques politiques investir le champ sportif de manière opportuniste (...)

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Amateur de football, le ministre des Affaires étrangères avait pourtant prévu d’y prendre part, il y a plusieurs semaines, se réjouissant de la perspective d’une si belle affiche. Mais ce week-end, le patron du Quai d’Orsay a décidé d’y renoncer. « Compte tenu du contexte », nous explique son entourage.

Le contexte ? Mercredi dernier, la Turquie a déclenché une intervention militaire contre les forces kurdes de Syrie, celles-là mêmes qui ont guerroyé, pour le compte de la France, de l’Union européenne et des Etats-Unis, contre les djihadistes de l’Etat islamique. Si depuis cinq jours, la communauté internationale donne de la voix pour désapprouver cette offensive, le massacre des alliés de la France se poursuit. (...)