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Le Monde
Mes petits gars ne peuvent pas travailler
Article mis en ligne le 13 février 2020

A Saint-Denis, un chef d’entreprise reproche au préfet de ne pas lui délivrer d’autorisation de travail pour recruter une vingtaine de mineurs isolés étrangers en apprentissage.

L’histoire relèverait de l’anecdote si elle ne se déroulait pas sur un territoire où les questions migratoires sont centrales. Avec 1 500 mineurs isolés étrangers pris en charge par les services de la protection de l’enfance (trois fois plus qu’en 2015), la Seine-Saint-Denis est le troisième département concerné par les flux migratoires de jeunes non accompagnés.
Autant de personnes dont l’insertion professionnelle est un enjeu central. Or, un des patrons de société de Saint-Denis, Francis Dubrac, à la tête d’une entreprise de travaux publics presque centenaire, Dubrac TP, reproche à la préfecture de ne pas l’autoriser à recruter une vingtaine de ces mineurs en apprentissage. (...)

D’aussi loin qu’il se souvienne, ce patron sait que les vagues migratoires, du Maghreb, du Portugal et du Mali, sont souvent venues répondre aux besoins de main-d’œuvre de l’entreprise familiale spécialisée dans l’aménagement de route. Les effectifs se renouvelaient par « cooptation », les personnels étaient formés par « compagnonnage » dans cette entreprise gérée de façon paternaliste, même si son dirigeant goûte peu cette qualification.
« Mais tous ceux qui dépassent la deuxième génération d’immigration ne veulent plus bosser dans le BTP, constate-t-il depuis un moment. On embauche dix jeunes de quartier, il en reste cinq à l’arrivée. » (...)

« Ce sont des gamins ponctuels, courageux, qui s’intègrent dans les équipes sans problème », note Francis Dubrac, à la tête d’une boîte de travaux publics (...)

Francis Dubrac se tourne alors vers les mineurs migrants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Les stages de découverte qu’une vingtaine d’entre eux font dans l’entreprise confirment son intuition. « Les chefs de chantier ont adoré travailler avec eux, explique-t-il. Ce sont des gamins ponctuels, courageux, qui s’intègrent dans les équipes sans problème. On s’est aussi rendu compte qu’ils avaient traversé la Méditerranée, qu’ils n’avaient pas de quoi manger le midi ou s’acheter des habits. » « Un problème de méthode »

Le chef d’entreprise décide d’écrire au préfet du département. Le 26 novembre 2019, il lui demande par courrier de l’aider à obtenir des autorisations de travail, indispensables pour les mineurs étrangers pris en charge par l’ASE et en principe délivrées de droit dans le cadre de contrats d’apprentissage. Une simple formalité, s’imagine-t-il. Mais il n’obtient pas de réponse, s’en inquiète et, sur les conseils de Patrick Braouezec, président de Plaine commune et membre du Parti communiste français (PCF), envoie les demandes d’autorisation de travail à Anne-Claire Mialot, la préfète à l’égalité des chances du département, le 22 janvier. Il n’obtient pas davantage de retour.

« Mes petits gars ne peuvent pas travailler, regrette le chef d’entreprise, alors que la formation de maçon a commencé le 3 février. (...)

A ceux qui soupçonnent le préfet de faire de l’obstruction, M. Leclerc rétorque : « En 2019, nous avons délivré 151 autorisations de travail à des mineurs en apprentissage et octroyé 139 titres de séjour à de jeunes majeurs. Les chiffres augmentent par rapport à 2018. Il n’y a pas de rationnement. » (...)

A côté de ce qui ressemble à une somme de malentendus et de vexations, la vingtaine de jeunes convoités par M. Dubrac sont, eux, dans l’expectative. Hébergés dans des hôtels de La Courneuve, de Stains ou de Montreuil, maliens ou ivoiriens pour la plupart, certains vont bientôt avoir 18 ans. Leur prise en charge ne sera prolongée que s’ils obtiennent une formation ou un contrat. « On est optimiste, on espère que ça va changer, confie l’un d’entre eux, Samuel Diallo, 16 ans. Sinon, on est à la rue. »