
Trois chercheurs dressent une analyse socio-historique de la notion d’opinion publique, depuis la rumeur antique jusqu’aux réseaux sociaux contemporains.

L’ambition des auteurs de cet ouvrage consiste à éclaircir le « brouillard définitionnel » qui entoure la notion d’« opinion publique ». Afin d’étudier et de synthétiser la pluralité des phénomènes que l’on range communément dans cette catégorie, ils ont choisi de croiser les perspectives des trois disciplines dont chacun est spécialiste : les sciences politiques (Thomas Frinault), l’histoire contemporaine (Pierre Karila-Cohen) et la sociologie (Érik Neveu). (...)
Une tentative de clarification
La première difficulté à laquelle sont confrontés les auteurs est en effet la grande imprécision de la notion qu’ils cherchent à étudier : on recourt en effet à l’expression d’« opinion publique » pour désigner tantôt les résultats des instituts de sondage, tantôt la vague tendance (toujours « volage ») à laquelle les personnalités politiques prétendent ne pas vouloir céder, tantôt l’idéologie qui est véhiculée par les médias ou qui circule sur les réseaux sociaux.
La même variété de significations s’observe du côté des auteurs qui se sont efforcés d’en proposer une théorie. (...)
Globalement, si « opinion publique » il y a, c’est parce que différentes forces sociales s’affrontent et revendiquent le droit de parler en public et d’être écoutées, face à un pouvoir qui peut être étatique, mais aussi patronal, militaire, patriarcal, etc. La possibilité même d’une opinion publique suppose en effet l’absence d’un contrôle social total ; il ne saurait exister d’opinion publique là où l’autorité et la tradition, par exemple, ne se discutent pas (quand bien même des discussions privées ou cachées demeureraient). Dès lors, l’opinion publique s’incarne aussi dans des lieux concrets : cafés, salons, rassemblements, manifestations…
En rassemblant un vaste ensemble de données pratiques et théoriques, les auteurs cherchent à faire apparaître l’émergence, les évolutions et les métamorphoses de la notion d’opinion publique et des discours théoriques qui ont porté sur elle, mais ils examinent encore les usages sociaux de cette notion et leurs appuis institutionnels, parmi lesquels les instituts de sondage, mais aussi les organismes d’État.
Les auteurs nous proposent ainsi une « socio-histoire » qui donne à la notion d’opinion publique au moins trois dimensions : celle d’une dynamique intellectuelle (renvoyant aux philosophes et chercheurs qui ont théorisé la notion), d’une matérialité sociale (le droit, les institutions, les technologies qui la concrétisent), et d’une conflictualité sociale (les conflits d’opinion étant des moteurs du débat démocratique).
L’opinion publique dans l’histoire (...)
L’égalité des conditions économiques réclamée par les révolutionnaires tout au long du XIXe siècle suffit-elle à garantir l’appropriation, par chaque citoyen, du système du suffrage (progressivement) universel ? Les instances par lesquelles est médiatisée l’information (l’école et la presse, notamment) ne risquent-elles pas d’infléchir, par l’effet du nombre, l’opinion des « masses » ou des « foules », comme le déplorait le psychologue social Gustave Le Bon ?
C’est à la lumière de ces questions (sous forme de soupçons) que les auteurs s’intéressent au nouveau régime d’opinion publique qui s’élabore par la généralisation des sondages.
À cet égard, les auteurs ne se contentent pas de dresser un état des lieux de la question ; ils actualisent largement leur propos en interrogeant le sens du recours constant que nous faisons à l’opinion publique. Ce questionnement est nécessaire, de nos jours, tant le déploiement d’Internet et des réseaux sociaux (et notamment les GAFAM) a bouleversé la communication et la circulation des informations au sein de la société, notamment en périodes électorales. L’enjeu de ces réflexions n’est rien moins que la vitalité de notre vie démocratique. (...)