
Sœur, camarade,
Nous vous envoyons le salut des femmes zapatistes qui se battent, telles que nous sommes.
Ce que nous voulons vous dire ou vous prévenir est un peu triste parce que nous vous communiquons que nous n’allons pas pouvoir organiser la Deuxième Rencontre Internationale des Femmes qui Combattent, ici dans nos terres zapatistes, en mars 2019.
• Les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas, parce que peut-être vous les connaissez déjà, et si ce n’est pas le cas, nous allons vous parler un peu.
Eh bien, il s’avère que les nouveaux mauvais gouvernements ont déjà clairement indiqué qu’ils allaient mettre en ouvre leurs mégaprojets des grands capitalistes. De leur Train Maya [1], de leur plan pour l’isthme de Tehuantepec [2], de la plantation d’arbres pour la marchandisation (vente) du bois et des fruits. AMLO a également dit que les sociétés minières et les grandes sociétés d’agro-business viendraient nous visiter. En plus, il dispose d’un plan agraire qui pousse à l’extrême l’idée de nous détruire en tant que peuples indigènes (natifs, autochtones) de manière à convertir nos terres en marchandises. De cette façon ces pouvoirs et celui d’AMLO veulent compléter ce que Carlos Salinas de Gortari [président du 1er décembre 1988 au 30 novembre 1994] a dû laisser en attente parce que nous l’avons arrêté avec notre insurrection.
• Ces projets sont destructeurs. Peu importe à quel point ils veulent camoufler ce fait par leurs mensonges. Peu importe combien de fois ils « multiplient » leurs 30 millions de supporters [du mouvement Morena]. La vérité est que ces nouveaux pouvoirs font tout contre les peuples natifs, leurs communautés, leurs terres, leurs montagnes, leurs rivières, leurs animaux, leurs plantes et même leurs pierres.
En d’autres termes, non seulement ils s’opposent à nous, zapatistes, mais ils sont contre toutes les femmes qu’ils disent indigènes. Et puis aussi contre les hommes, mais en ce moment, nous parlons de la façon dont nous sommes les femmes.
• Ils veulent que nos terres ne soient plus pour nous (femmes et hommes), mais pour les touristes qui viennent s’y promener et qui auront leurs grands hôtels et leurs grands restaurants, et les firmes dont les touristes ont besoin pour disposer de ce luxe. (...)
• Ils ne comprennent pas que ce qu’ils appellent « progrès » est un mensonge, qu’ils ne peuvent même pas s’occuper de la sécurité des femmes, qui continuent à être battues, violées et assassinées dans leur monde progressiste ou réactionnaire.
Combien de femmes ont été assassinées dans ces mondes progressistes ou réactionnaires, pendant que vous lisez ces mots, camarade, ma sœur ?
Peut-être le savez-vous, mais bien sûr nous vous disons qu’ici, en territoire zapatiste, pas une seule femme n’a été assassinée depuis de nombreuses années. Mais oui, ils disent que nous sommes les arriéré·e·s, les ignorant·e·s, des petites choses.
• Peut-être ne savons-nous pas ce qu’est le meilleur féminisme, peut-être ne savons-nous pas comment dire « corps » ou selon la façon dont les mots changent, ou ce qu’est l’équité entre les sexes ou ces choses qui comportent tant de lettres qu’elles ne peuvent même pas être dites. Et ce n’est même pas vrai qu’ils disent « équité de genre », parce qu’ils ne parlent que de l’égalité des femmes et des hommes, et même nous, qui sommes appelés ignorant·e·s et arriéré·e·s, savons bien qu’il y a ceux qui ne sont ni hommes ni femmes, et que nous les appelons « autres ». Mais que ces gens se disent comme ils le veulent. Il ne leur a pas été facile de gagner le droit à être, à exister, sans cacher, car ils sont raillés, persécutés, violés, tués. Et allons-nous encore les forcer à dire qu’ils sont des hommes ou des femmes et qu’ils doivent se tenir d’un côté ou de l’autre ? Si ces personnes ne le veulent pas, alors c’est mal s’ils ne sont pas respectés. Parce qu’alors, comment pouvons-nous nous plaindre qu’ils ne nous respectent pas en tant que femmes que nous sommes, si nous ne respectons pas ces personnes ? Mais c’est peut-être parce que nous parlons de ce que nous avons vu depuis d’autres mondes et que nous n’avons pas beaucoup de connaissances dans ce domaine.
• Ce que nous savons, c’est que nous luttons pour notre liberté et que nous devons maintenant nous battre pour la défendre, afin que nos filles et nos petites-filles ne souffrent pas de l’histoire douloureuse de nos grands-mères.
C’est à nous de lutter pour que l’histoire ne se répète pas, celle qui implique que nous retournions dans le monde de la stricte préparation de la nourriture et de la mise au monde des bébés, pour les voir grandir dans l’humiliation, le mépris et la mort.
Nous ne prenons pas les armes pour revenir à ce passé.
Nous n’avons pas mené durant vingt-cinq ans une résistance pour servir les touristes et les patrons et leurs contremaîtres.
Nous n’allons pas cesser d’être des promotrices de l’éducation, de la santé, de la culture, de nos coutumes, de notre système de pouvoir propre, de l’élection de nos mandants, pour devenir maintenant des employées d’hôtels et de restaurants, servant des étrangers pour quelques pesos. Peu importe que cela nous « rapporte » beaucoup ou peu de pesos, ce qui compte, c’est que notre dignité n’a pas de prix.
Parce que c’est ce qu’ils [les nouveaux gouvernements – fédéral et des Etats] veulent, que nous, camarades et sœurs, devenions des esclaves qui, dans notre propre pays, reçoivent l’aumône pour les avoir laissés détruire la communauté. (...)
Ces nouveaux mauvais gouvernements pensent qu’il sera facile de nous vaincre, que nous sommes peu nombreuses et que personne ne nous soutient dans « les autres mondes ».
Mais que va-t-il se passer, même s’il ne reste plus qu’une seule d’entre nous, cette dernière va se battre pour défendre notre liberté.
Et nous n’avons pas peur. Et si nous n’avions pas peur il y a plus de vingt-cinq ans, quand personne ne nous considérait, encore moins maintenant alors que nous sommes considérées, de manière positive ou négative, mais considérées.
Camarade, sœur,
C’est là qu’on vous transmettra la petite lumière dont on vous fera cadeau.
Ne la laissez pas s’éteindre.
Même si la nôtre s’éteint ici avec notre sang, et même si elle s’éteint ailleurs, vous devez en prendre soin. Même si aujourd’hui les temps sont difficiles, nous devons continuer à être ce que nous sommes, et cela parce que nous sommes des femmes qui luttons. (...)