
Depuis 30 ans, les politiques sociales sont guidées par l’idée que trop d’aide tuerait la volonté des personnes précaires de s’extraire de leur condition. Les associations dénoncent cette logique qui justifie le refus du gouvernement d’augmenter le RSA. Et si pour favoriser la sortie de la pauvreté, la solution était, au contraire, d’augmenter les minima sociaux ?
Pendant quelques semaines, ils ont eu une lueur d’espoir. Depuis des années, des élus, des chercheurs ou encore des militants associatifs prônent une augmentation significative des minima sociaux. Et soudainement, le confinement a mis en lumière les insuffisances de notre système de protection sociale qu’ils dénonçaient.
En l’espace de quelques jours, des centaines de milliers de ménages se sont retournées vers les associations caritatives et les collectivités territoriales pour solliciter une aide alimentaire ou financière. Affectés par une brutale perte de revenu ou une hausse de leurs dépenses, parfois les deux, ils venaient de basculer dans une situation d’extrême urgence. (...)
Parmi ces personnes et familles, beaucoup d’allocataires de minima sociaux. La simple prise en charge au quotidien d’un repas supplémentaire pour leurs enfants, suite à la fermeture des cantines scolaires, a suffi à les mettre dans le rouge. Ce constat sans appel laissait espérer une inflexion de la part du pouvoir exécutif. Jusque-là, celui-ci avait toujours refusé d’envisager une hausse globale des prestations sociales pour lutter contre la pauvreté.
Mais cette ligne semblait prête à bouger. Contacté mi-avril par Résolutions, un haut fonctionnaire faisait état de notes internes à l’administration suggérant au gouvernement de débloquer des crédits en ce sens.
10 euros par mois
Six mois plus tard, la fenêtre qui s’était entrouverte au printemps s’est refermée. « On nous a dit qu’il n’y aurait aucune hausse des minima sociaux », confiait Véronique Fayet, la présidente du Secours Catholique, au sortir d’une rencontre, le 2 octobre, entre le Premier ministre, Jean Castex, et les représentants d’associations de lutte contre la pauvreté.
Interrogé sur le sujet lors d’une interview télévisée, le 14 octobre, le président de la République, Emmanuel Macron, a confirmé ce refus, et a annoncé une nouvelle aide exceptionnelle, de la même nature que celle versée au printemps.
Pour pallier l’insuffisance des prestations sociales pendant le confinement, le gouvernement avait opté pour une unique prime de 150 euros - majorée selon la composition du foyer – aux bénéficiaires du RSA, de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) et de l’aide au logement (APL).
Une mesure dérisoire, regrettent les associations, face à l’ampleur des difficultés structurelles rencontrées par ces ménages, qui vont bien au-delà de la conjoncture économique et sociale de ces derniers mois. (...)
« Au RSA, on devient fou », assure Franck M., 41 ans. Père d’un adolescent de 17 ans, Franck s’est installé il y a trois ans dans la Nièvre pour se rapprocher de son fils, parti vivre avec sa mère. Sans permis de conduire, il n’a pas trouvé de travail, à part quelques « boulots » chez des agriculteurs du coin. À 38 ans, il a dû retourner habiter pendant deux ans chez ses parents et vivre du RSA. « C’est un coup de pouce, admet-il. Mais ce n’est pas bon pour la tête, car avec 500 euros, tu ne peux rien faire, tu tournes en rond. »
« Ça sert juste à ne pas se retrouver dehors », confirme Marie-France P. (photo ci-contre), 47 ans, qui vit également dans la Nièvre où elle a débarqué il y a 10 ans, après une séparation. Confrontée aux mêmes difficultés que Franck pour trouver un emploi, elle a vécu pendant sept ans de l’ASS. « Une fois que vous avez payé vos factures et qu’il vous reste 10 euros par semaine, vous faites comment ? », interroge-t-elle. (...)
« les gens jouent aussi sur le coût du chauffage, en le réduisant au minimum ou en le coupant malgré le froid l’hiver ».
Ce militant associatif voit régulièrement « des personnes qui se cassent la gueule et se mettent en danger ». « Souvent ce sont celles qui n’ont que le RSA pour vivre, souligne-t-il, sans soutien familial, ni réseau amical. » En cas d’accident de la vie, conclue-t-il, ce minimum social n’est pas suffisant pour empêcher la chute. (...)
Peur de l’assistanat
Jeudi 1er octobre, le Secours Catholique et Aequitaz ont publié un rapport dans lequel ils défendent l’idée d’un revenu minimum garanti équivalent à 50% du revenu médian, soit 895 euros par mois. Ce filet de sécurité, inaliénable, garantirait à toute personne majeure, vivant en France en situation régulière, de ne pas basculer dans l’extrême pauvreté.
Le Secours Catholique avait déjà promu cette idée lors de la concertation sur le Revenu universel d’activité (RUA), lancée par Emmanuel Macron en juin 2019 et au point mort depuis le confinement. En vain. (...)
Le refus catégorique du gouvernement de prendre des mesures fortes de soutien au revenu n’est pas nouveau. Il est symptomatique de la peur de l’assistanat qui guide les politiques publiques depuis 30 ans en France. Une peur nourrie par de multiples préjugés sur les personnes en précarité. (...)
Les stéréotypes du chômeur fainéant et du pauvre profiteur imprègnent l’imaginaire collectif et politique. L’insertion devient peu à peu une responsabilité des allocataires en contrepartie de la prestation qu’ils perçoivent. Et à chaque réforme de la protection sociale, les paramètres des allocations sont reformatés pour les rendre davantage incitatives au travail.
« Il s’agissait de récompenser la pauvreté réputée “méritante” de celles et ceux qui travaillent mais dont le petit boulot ne suffit pas à boucler les fins de mois, sans revaloriser les prestations sociales de base de celles et ceux qui ne travaillent pas, qu’on a laissé s’appauvrir en les accusant de se complaire dans l’“assistanat” », analyse Anne Eydoux. (...)
Cette logique perdure aujourd’hui. On la retrouve dans la réponse du gouvernement au mouvement social des Gilets jaunes, lorsqu’il choisit, fin 2019, d’augmenter la prime d’activité et de ne pas toucher au montant du RSA.. Elle apparaît également en filigrane dans les revalorisations substantielles, ces deux dernières années, de l’allocation adultes handicapés et du minimum vieillesse, là encore en « oubliant » le RSA.
Pour le gouvernement, la sortie de la pauvreté ne peut se faire que par le travail. Et pour inciter les pauvres au retour à l’emploi, il faut que les minima sociaux les maintiennent dans la précarité, sinon ils n’auront aucun intérêt à travailler. (...)
Plus on aide les gens, plus ils sont capables de repartir d’eux-mêmes.
Esther Duflo, économiste. (...)