
Emmanuel Macron a écarté toute hausse du RSA et son extension aux 18-25 ans, arguant que cela ne favorise pas le retour à l’activité. En réalité, il semble que l’effet désincitatif des minima sociaux sur le travail soit très faible, voire inexistant. Les études trouvent un certain nombre de motivations non monétaires à la reprise d’emploi.
Lors de son interview sur TF1 et France 2 mercredi, Emmanuel Macron a annoncé, malgré les demandes pressantes des associations de lutte contre la pauvreté et de nombreux spécialistes, qu’il n’augmenterait pas le RSA, ni ne l’étendrait aux 18-25 ans. Interrogé sur les raisons de sa décision, il a répondu :
« Je tiens aussi à une chose, c’est qu’on ne perde pas nos fondamentaux. Nos fondamentaux, c’est la lutte contre la pauvreté par le retour à l’activité et le travail. Et plus on augmente de manière unilatérale tous nos minima sociaux – on ne les rebaisse jamais après – plus on rend difficile le retour à l’activité. C’est ce que l’on a constaté. »
Ce que « l’on a constaté », semble nous dire le Président, c’est que des minima sociaux trop généreux désinciteraient au travail, conformément au phénomène que les économistes qualifient de « trappe à inactivité »… (...)
La réforme remplaçant le RMI par le RSA en 2009 était ainsi guidée par le souci de rendre plus avantageux le retour à l’emploi (...)
Même logique pour la prime d’activité, qui en 2016 a remplacé le RSA activité, marqué par un important taux de non-recours.
Les dispositifs évoluent, donc, mais le soupçon persiste. (...)
« On l’a constaté », assure Emmanuel Macron… Mais où ?
Des études à contre-courant
Le décalage surprend entre d’un côté l’importance politique du lien entre minima sociaux et désincitation au travail, et de l’autre le faible nombre de recherches empiriques essayant de l’évaluer. Quelques travaux existent néanmoins, qui tendent globalement à remettre en cause les stéréotypes sur le comportement des pauvres. (...)
Philippe Briard et Olivia Sautory, dans une étude de la Dares parue en 2012, détaillent longuement les hypothèses et mécanismes théoriques qui sous-tendent l’hypothèse de la trappe à inactivité. Ils étudient les rares cas où le RSA a fait baisser le gain financier du retour à l’emploi par rapport au RMI. Ils ne trouvent aucun effet désincitatif du RSA sur l’offre de travail.
En 2014, Véronique Simmonet et Élisabeth Danzin ont cherché à voir si le passage au RSA (censé donc augmenter les gains financiers au retour à l’emploi) avait permis de réinciter au travail. Elles constatent une hausse du retour à l’emploi pour une seule catégorie d’allocataires : les mères isolées, notamment de jeunes enfants.
Les économistes Olivier Bargain et Augustin Vicard ont quant à eux cherché un éventuel effet désincitatif du RMI/RSA (ils ont travaillé sur la période 2004-2009, à cheval sur les deux dispositifs) en analysant le taux d’emploi des jeunes de 20 à 30 ans célibataires et sans enfant. Leur raisonnement est le suivant : si l’allocation désincite au travail, le taux d’emploi, qui augmente progressivement avec l’âge devrait décrocher à 25 ans, âge auquel s’ouvrent les droits au RMI/RSA. Ils constatent un décrochage très léger, et pour les années 2004 à 2007 seulement.
« L’effet désincitatif (…) semble très faible et circonscrit à une population spécifique », les jeunes célibataires sans enfant et sans diplôme. Entre 1,7 % et 2,9 % de ces jeunes seraient découragés de travailler en raison du RMI entre 2004 et 2007... De quoi faire réfléchir les tenants de l’argument selon lequel ouvrir le RSA aux 18-25 ans les enfermerait dans « l’assistanat ».
Les moteurs non financiers de la reprise d’emploi
Ces études suggèrent donc, d’une part, que le travail est toujours apparu suffisamment rémunérateur pour motiver le retour à l’emploi. D’autre part, même dans les quelques cas où le gain financier du retour à l’emploi est moins élevé, l’effet désincitatif est au pire très faible, au mieux inexistant. (...)
l’hypothèse de la « trappe à inactivité » néglige les motivations non monétaires à la reprise d’emploi, pourtant nombreuses. On peut vouloir retrouver un travail pour fuir l’inactivité, se sentir utile, retrouver une « dignité » et une vie sociale. (...)
« Il semble peu discutable que l’anticipation des gains attachés à l’emploi ne commande pas la totalité des décisions, tranchent les auteurs. Il s’agit d’une variable parmi d’autres, et certainement pas de la plus influente. »
(...)
Comme le soulignait déjà le sociologue Nicolas Duvoux en 2011, l’idée que les minima sociaux désincitent au travail relève moins de la réalité que d’un jugement moral. Pour les allocataires, montrent François Dubet et Antoine Vérétout, l’accès à l’emploi est perçu comme une norme sociale à atteindre, quels qu’en soient les avantages financiers.
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Les vraies raisons des difficultés de recrutement
Une nouvelle étude montre que la hausse des difficultés de recrutement s’explique principalement par des salaires trop faibles et des conditions de travail dégradées.
Les Français ne veulent plus bosser ! Voilà le petit refrain que chantent certains patrons français, et que reprennent les médias libéraux. Surfant sur la vague, le gouvernement justifie sa violente réforme de l’assurance chômage en expliquant que l’ex-système n’incitait pas à reprendre le travail. Bref, le sujet des difficultés de recrutement et des emplois vacants a, une fois de plus, la cote.
Hasard du calendrier, la Dares, service statistique du ministère du Travail, a publié ces derniers jours une courte étude fort intéressante sur le sujet. Et sa conclusion risque de décevoir les personnes convaincues que les Français sont des fainéants... (...)
Les difficultés de recrutement s’expliquent en effet essentiellement par des facteurs qui n’ont rien à voir avec les chômeurs. A vrai dire, la littérature l’avait déjà montré depuis longtemps. Mais cette étude offre de nouveaux éléments intéressants.
Le premier d’entre eux est une simple comparaison internationale. La plupart des pays comparables à la France (Allemagne, Espagne et Italie) connaissent tous une progression de ces pénuries de main-d’œuvre. C’est un phénomène classique en sortie de crise, parce que l’activité redémarre rapidement, et qu’elle modifie les structures de l’économie, par exemple lorsque les anciens serveurs dans la restauration se reconvertissent dans d’autres secteurs.
Si le système français de protection sociale était aussi généreux que le prétendent ses contempteurs, on constaterait une singularité française en matière de tensions sur les embauches. Or, la France suit la tendance générale, et dans de moindres proportions que l’Allemagne, qui ne dispose pas d’un système d’assurance chômage particulièrement magnanime, mais qui à l’inverse a développé un système flexible de mini-jobs.
Pour aller plus loin, l’étude de la Dares – probablement réalisée avant la polémique actuelle sur le manque de personnel – se penche sur les raisons structurelles de la progression des difficultés de recrutement, déjà présentes bien avant la crise. (...)
Structurellement, le facteur le plus décisif est celui de la formation. Dans un tiers des cas, pointe la Dares, les demandeurs d’emploi n’ont pas les compétences requises pour exercer des métiers qui sont pourtant attractifs du point de vue des conditions de travail.
« Cela concerne beaucoup de métiers pointus de l’industrie (techniciens de la mécanique ou de l’électricité par exemple), du bâtiment (plombiers, charpentiers) et la quasi-totalité des métiers d’ingénieurs dans l’industrie, le bâtiment ou l’informatique », écrit l’organisme. (...)
Deuxième facteur le plus important : les salaires et les conditions d’emploi concernent un quart des difficultés de recrutement. Se situent dans cette catégorie les aides à domicile, les conducteurs routiers, les ouvriers non qualifiés de l’industrie (agroalimentaire, bois, métal, etc.), ou certains ouvriers qualifiés de l’industrie et du bâtiment, ainsi que les serveurs.
Dans un cas sur cinq, poursuit la Dares, les deux facteurs précédemment cités se cumulent. (...)
L’aggravation récente des difficultés s’explique par le niveau des salaires et les mauvaises conditions de travail, qui n’ont pas suffisamment progressé ces cinq dernières années. Une étude précieuse à mettre sur toutes les tables de négociation qui s’ouvrent en ce moment sur la question des rémunérations.