
Depuis début avril, la mobilisation contre la réforme des universités et le système Parcoursup s’est amplifiée de manière spectaculaire avec l’occupation de nombreuses facs. Contre ce mouvement d’une ampleur sans précédent ces dix dernières années, la fine fleur de l’éditocratie n’a pas manqué de se mobiliser .
Pour les tauliers des médias, les étudiants seraient en réalité instrumentalisés par une « minorité agissante » issue de l’« ultragauche ». Et bien évidemment, ils se mobiliseraient pour de mauvaises raisons, voire sans raison du tout. Retour sur les plus belles démonstrations de morgue et de mépris médiatique à l’égard des mobilisations étudiantes.
Difficile d’échapper à cette interview de Georges Haddad, président de l’Université Paris 1, dont les propos ont fait les titres de nombreux articles de presse, et ont été repris dans les journaux télévisés des grandes chaînes et sur les chaînes d’info en continu. Face à un Jean-Pierre Elkabbach visiblement terrifié par l’occupation de Tolbiac, Haddad évoque, sur le ton d’un reportage de Bernard de La Villardière, « la violence, la drogue, le sexe » qui régneraient dans la fac occupée. (...)
Mobilisations étudiantes : les éditocrates face au péril jeune
par Frédéric Lemaire, Vendredi 20 Avril 2018
Depuis début avril, la mobilisation contre la réforme des universités et le système Parcoursup s’est amplifiée de manière spectaculaire avec l’occupation de nombreuses facs. Contre ce mouvement d’une ampleur sans précédent ces dix dernières années, la fine fleur de l’éditocratie n’a pas manqué de se mobiliser . Pour les tauliers des médias, les étudiants seraient en réalité instrumentalisés par une « minorité agissante » issue de l’« ultragauche ». Et bien évidemment, ils se mobiliseraient pour de mauvaises raisons, voire sans raison du tout. Retour sur les plus belles démonstrations de morgue et de mépris médiatique à l’égard des mobilisations étudiantes.
Difficile d’échapper à cette interview de Georges Haddad, président de l’Université Paris 1, dont les propos ont fait les titres de nombreux articles de presse, et ont été repris dans les journaux télévisés des grandes chaînes et sur les chaînes d’info en continu. Face à un Jean-Pierre Elkabbach visiblement terrifié par l’occupation de Tolbiac, Haddad évoque, sur le ton d’un reportage de Bernard de La Villardière, « la violence, la drogue, le sexe » qui régneraient dans la fac occupée. Arrêt sur Images revient sur cet échange dans un article et dans cette vidéo :
Le caractère alarmiste et outrancier de l’entretien prête évidemment à sourire. Il a d’ailleurs été tourné en dérision par les occupants de Tolbiac dans une vidéo pastiche de reportage sur l’occupation de la fac. Cet entretien témoigne néanmoins de la tonalité des commentaires des tauliers des grands médias à l’égard des mobilisations étudiantes.
Journalisme de préfecture (bis)
Car Jean-Pierre Elkabbach n’est pas le seul à trembler d’effroi en se demandant : « Qui sont-ils, combien sont-ils, d’où viennent-ils ? » C’est également le cas de Nathalie Saint-Cricq, lors d’une interview dominicale sur France Inter avec François Ruffin. Elle interroge le député de la France insoumise sur son soutien aux étudiants :
« Est-ce que vous pouvez vraiment présenter […] ceux qui bloquent les facs comme des étudiants en détresse, n’y a-t-il pas une tentative, gauche ou extrême-gauche, de noyautage […] ? C’est pas un fantasme, hein. »
Ce n’est pas un fantasme, puisque l’éditocrate en chef de France 2 a des sources sûres :
« Il y a manifestement, d’après ce que j’ai lu dans Le Monde qui est peut-être faux, 800 à 1200 personnes qui bloquent et qui font partie de l’ultragauche et qui noyautent le truc, qui ne sont pas véritablement des étudiants ? »
Mais d’où vient ce chiffre de 800 à 1200 membres de « l’ultragauche » qui noyauteraient les mobilisations étudiantes ? Une simple recherche en ligne nous conduit à deux articles, du Figaro (14 avril) et du JDD (16 avril), qui évoquent tous deux ces chiffres issus… d’une note des renseignements territoriaux (ex renseignements généraux). Quelle source plus fiable que la police pour se renseigner sur les méfaits de « l’ultragauche » – comme l’a récemment démontré le fiasco du procès de Tarnac [1] ? (...)
L’inquiétude autour de ce « noyau » minoritaire de l’ultragauche est, en effet, largement partagée sur les plateaux télévisés. Dans l’émission de Ruth Elkrief sur BFMTV, Hervé Gattegno du JDD dénonce ainsi, sans précision, « une organisation politique, une utilisation, une instrumentalisation » des mobilisations étudiantes.
L’animatrice n’est pas en reste. (...)
Sur le plateau de C dans l’air du 3 avril, Christophe Barbier est perplexe : « Il est quand même curieux de voir […] les étudiants bloquer les facs pour une sélection qui ne leur sera pas appliquée puisqu’ils sont déjà en fac. » Qu’on puisse se mobiliser pour d’autres raisons que ses propres intérêts personnels est visiblement suspect. (...)
L’indigence journalistique de ces « analyses » est sidérante. De journalisme et d’analyse il n’est d’ailleurs pas vraiment question, puisque aucune de ces sommités médiatiques ne base ses propos sur un quelconque travail d’enquête qui les aurait menés à quelques stations de métro de leurs studios rencontrer des étudiants ou des enseignants qui auraient pu leur exposer leur point de vue et leurs raisons de rejeter la réforme. Étudiants et enseignants mobilisés sont d’ailleurs systématiquement absents des plateaux télévisés où les éditocrates devisent gaiement de l’irresponsabilité des mobilisations universitaires.
Et si la frayeur de Jean-Pierre Elkabbach à l’égard l’occupation de Tolbiac a quelque chose de ridicule ou de plaisant, elle n’est en rien anecdotique. D’abord considérées d’un regard amusé, les mobilisations universitaires de ces dernières semaines sont désormais dans le viseur de l’éditocratie. Tous les moyens sont bons pour relativiser et décrédibiliser la mobilisation des étudiants y compris la reprise des mots d’ordre gouvernementaux et des biais policiers dans la description factuelle des mobilisations. (...)