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Orient XXI
Mobilisations populaires pour les libertés DEUX PAYS DIFFÉRENTS, UNE GUERRE COMMUNE
Article mis en ligne le 16 avril 2018

Depuis la série d’attentats qui a frappé la France en 2015 et l’état d’urgence décrété ensuite, de nombreux Français ont vu leurs droits bafoués. Alors, des associations françaises et tunisiennes ainsi que des individus se mobilisent au quotidien pour les défendre et dénoncer les dérives.

Sihem Zine, présidente et fondatrice de l’association Action des Droits des Musulmans (ADM), vient en aide en France « à ceux qui sont injustement pris pour cible par l’Etat. Sous prétexte de guerre contre le terrorisme, les droits humains ne sont pas respectés », dénonce-t-elle. Après avoir travaillé pendant dix ans dans différentes ONG (Amnesty International, Croissant rouge égyptien, Croissant rouge palestinien…), cette femme de 41 ans, éprise de justice et de vérité, a créée ADM en mars 2016 car « beaucoup de gens étaient perdus face à la machine judiciaire. Personne ne les aidait dans leur démarche pour faire respecter leurs droits. Il n’y avait pas d’association sur le terrain. Seul Amnesty international a tiré la sonnette d’alarme dans la manière dont étaient traités les citoyens de confession musulmane ».

LUTTE CONTRE LES DÉRIVES
L’état d’urgence et un climat de peur quasi généralisé ont favorisé des dérives. Beaucoup de ceux qui contactent l’association affirment être victimes de « règlements de compte »1. « Certains ont profité du contexte. Un employeur qui veut se débarrasser de son employé musulman, des voisins qui ne s’entendent pas, des couples qui ne veulent plus vivre ensemble… », raconte la présidente de l’association. (...)

Forte d’un réseau d’une trentaine d’avocats et d’une dizaine de bénévoles, ADM accompagne ceux qui la sollicitent jusqu’au bout de la procédure. « On obtient souvent gain de cause auprès des tribunaux, notamment concernant les assignations à résidence », se félicite Sihem Zine. L’ONG fait également partie d’un collectif « état d’urgence/antiterrorisme ». Ce collectif est né en janvier 2017 à l’initiative de Jean-Marie Fardeau de l’association Vox public : « J’ai voulu rassembler les différentes structures et associations actives sur les questions de liberté individuelle et sur les dérives de l’état d’urgence », raconte celui qui a été pendant huit ans directeur de Human Rights Watch France. (...)

« Notre travail a surtout consisté à interpeller les parlementaires sur les dérives des politiques antiterroristes », raconte Dominique Curis d’Amnesty International France. « Et ce n’était pas évident : difficile pour les élus de droite comme de gauche de ne serait-ce que questionner la politique antiterroriste menée entre 2015 à 2017 ».

Au Syndicat de la Magistrature, « dès novembre 2015, on a fait de la pédagogie », précise Laurence Blisson, juge et secrétaire générale du syndicat. (...)

Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) « organise régulièrement des ateliers et des formations ayant pour objectif d’enseigner l’auto-défense juridique », explique Leila Charef, directrice exécutive de l’association. « Concrètement, nous transmettons les notions juridiques essentielles dans le cadre des litiges récurrents auxquels est susceptible d’être confrontée toute victime potentielle : la définition du principe de laïcité au sens juridique et historique, fréquemment invoqué à tort pour priver la minorité musulmane de ses libertés et droits fondamentaux ». (...)

« Les mouvements considérés comme subversifs et étiquetés ‘’ultra-gauche’’ subissent une surveillance assez générale, des interdictions préventives de manifester, des assignations à résidence qui peuvent pourrir la vie sociale mais qui ne durent en général que quelques mois. En revanche, les musulmans des classes populaires et par extension les personnes non-blanches dont les étrangers et les sans-papiers subissent un renforcement de l’occupation policière de leurs lieux de vie, des systèmes de surveillance intensive de la vie privée numérique, locale et quotidienne, des perquisitions fracassantes qui frappent et traumatisent toute la famille, isolent des voisins et dont le stigmate dure très longtemps. Ils subissent des incarcérations préventives, des assignations à résidence qui peuvent durer des années et qui pourront même désormais durer à vie, une persécution symbolique et médiatique, l’oppression policière qui caractérise le contrôle des quartiers populaires par les contrôles d’identités répétitifs, les brimades symboliques, les arrestations arbitraires, les coercitions, les mutilations et les meurtres qui ne cessent d’augmenter ». (...)

Plusieurs associations de défense des droits humains comme la Ligue Tunisienne des droits de l’homme ou Human Rights Watch (HRW) ont recensé de nombreux abus qui font écho à ce qu’il se passe en France.

« L’attentat du 11 septembre 2001 avait déjà servi de prétexte à l’invasion de l’Irak et au Patriot Act qui limitait les libertés des Américains. Les attentats de 2015 en France et en Tunisie servent de prétexte à la restriction des libertés individuelles et à la répression des mouvements sociaux », explique Ali Katef, 32 ans, habitant de Tunis et militant au sein de Survie, une association qui analyse la politique française en Afrique. (...)

Dans une vidéo de sensibilisation réalisée par HRW, des personnalités publiques prennent la parole comme la cinéaste Salma Baccar, l’athlète et championne olympique Hbiba Ghribi, les acteurs Anis Gharbi et Marouen Ariane et le rappeur Mohamed Amine Hamzaoui. De son côté, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) qui travaille avec Avocats sans frontières (ASF) a constitué une équipe d’avocats pour défendre les jeunes des mouvements sociaux accusés notamment sur la base de l’état d’urgence et réalisé un recensement des différents cas.

En France comme en Tunisie, les associations sont inquiètes mais gardent espoir. Sihem Zine et le collectif « antiterroriste/état d’urgence » attendent avec impatience « la visite, en mai prochain, de Fionnuala Ni Aolain, la rapporteuse spéciale des Nations unies. Elle viendra observer comment est appliquée la loi antiterroriste et vérifier qu’il n’y a pas de dérive en matière de droits humains. »