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Observatoire des inégalités
Modulation des allocations : un modèle réservé aux pauvres est un pauvre modèle
Article mis en ligne le 2 juillet 2015
dernière modification le 1er juillet 2015

Réduire les allocations familiales des plus aisés semble tomber sous le sens. Mais cette mise à mal de l’universalisme de notre modèle sape sa légitimité. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Réduire les allocations familiales des plus aisés semble tomber sous le sens. Alors que notre pays traverse une crise sans précédent, les plus riches continuent de s’enrichir. Sans aucune pudeur, les représentants des nantis - hier partisans de coupes budgétaires drastiques - s’offusquent de perdre quelques euros par mois et montent sur les barricades pour défendre « leur » Etat providence. La stagnation du pouvoir d’achat n’est en effet qu’un leurre qui masque sous forme de moyenne l’enrichissement des uns d’un côté et l’appauvrissement des pauvres de l’autre. L’Etat est en faillite et nous devons faire des économies. Pourquoi alors continuer à aider des familles qui n’ont aucun besoin de l’argent de la collectivité ? Les foyers qui touchent 6 000 euros pour deux enfants perdront 65 euros, rien de bien méchant.

C’est pourtant une faute politique lourde : elle brise l’universalisme du système de protection sociale, dont les allocations familiales constituent le socle. On peut jouer sur les mots comme le fait Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, en expliquant que les plus riches continueront à percevoir une partie des allocations : celles-ci ne seront plus les mêmes pour tous, elles ne seront plus universelles. Cet universalisme constitue le ciment qui légitime l’ensemble de notre modèle social. C’est parce que les couches aisées bénéficient aussi du système, même très partiellement, qu’elles acceptent d’y contribuer beaucoup plus que les autres. Les cotisations qu’elles paient sont proportionnelles à leurs revenus. Les allocations qu’elles reçoivent représentent beaucoup moins pour elles que pour les plus démunis, mais constituent le fil qui les rattache à un système d’ensemble. Pourquoi ne pas aussi demander aux plus riches de payer pour l’école publique, puisqu’ils en ont les moyens ? De ne plus leur assurer les remboursements maladie de la Sécurité sociale ou les pensions de retraite ?

La diminution du quotient familial de l’impôt sur le revenu était une politique juste et courageuse (l’impôt n’a pas à reconnaître les inégalités entre familles et procurer un avantage croissant avec le revenu), mais la modulation des allocations sape les fondements mêmes de notre modèle social. Ce modèle est contesté en partie parce qu’on ne cesse de répéter ces dix dernières années qu’il fallait « concentrer ses moyens sur les plus pauvres » au risque d’abandonner l’universalisme. Au passage, il se passe exactement la même chose avec la politique de la ville, qui devient « un concentré de concentré ». (...)

. Pour qu’un effort soit accepté, il faut qu’il soit partagé, et non qu’une minorité ait le sentiment de payer pour tous les autres. Si le ras-le-bol fiscal a pris, c’est en grande partie du fait du lobbying médiatique sur le mode du « matraquage des classes moyennes », mais aussi du fait de cette forme de démagogie fiscale. C’est parce que tout le monde participe selon ses moyens que l’on peut redistribuer de l’argent des riches vers les pauvres. De la même façon, une solidarité qui ne profite qu’aux pauvres ne peut être au fond, qu’une pauvre solidarité, où les plus riches cotisent au minimum et s’achètent par eux-mêmes une protection privée. A force de concentrer, on en viendra à détricoter l’ensemble de notre modèle social et à mettre en place des systèmes marchands. (...)