
Le gouvernement s’apprête à « simplifier » le Code du travail. Dans la lignée des lois Macron et Rebsamen avant l’été, de l’Accord national interprofessionnel et du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi auparavant, il s’agit de « libérer » toujours davantage les entreprises. Les protections des salariés sont considérées comme un « coût » pour l’économie, qu’il conviendrait de réduire, et comme un « frein à l’embauche », qu’il faudrait assouplir. Objectif : inverser la courbe du chômage. Mais plus l’exécutif socialiste dérégule, plus le chômage augmente, avec un million de chômeurs supplémentaires depuis l’entrée de François Hollande à l’Élysée. Bilan en trois actes de cette casse sociale.
En 1981, François Mitterrand voulait « changer la vie ». Deux ans plus tard, le gouvernement socialiste dirigé par Pierre Mauroy engageait le « tournant de la rigueur ». Élu sur un programme de rupture avec le libéralisme à tout crin des années Sarkozy, et pour « réorienter l’Europe », François Hollande n’aura pas mis aussi longtemps à plier sous les injonctions du « réalisme » et à renoncer à ses promesses de changement. Exit la grande réforme fiscale, le contrôle de la finance, la renégociation des traités européens. Place, dès novembre 2012, à l’oxymore du « socialisme de l’offre » annonçant – dans un premier temps – les 20 milliards d’euros de réductions d’impôts accordées aux entreprises par le biais du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). (...)
Le discours sur l’« inversion de la courbe du chômage » est comparable au mirage lors d’une traversée du désert : à mesure que l’on pense s’en approcher, l’oasis reste à bonne distance. Mais la vision chimérique amène le voyageur à s’enfoncer toujours plus loin... En 2014, François Hollande interprète la défaite du PS aux européennes et aux municipales, combinée à la poussée du FN et aux victoires de l’UMP, comme un appel au durcissement de sa ligne, encore plus à droite. Manuel Valls entre à Matignon pour achever le recentrage de la politique gouvernementale. L’heure est à la restauration de l’« autorité », à la baisse des impôts – que le PS entendait encore, il y a quelques années, « réhabiliter » – et à l’approfondissement du virage entrepreneurial amorcé fin 2012.
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Malgré les 20 milliards de baisse de cotisations et d’impôt sur les sociétés que le Pacte de responsabilité vient ajouter au CICE, soit un total de 40 milliards, l’emploi reste en panne. Pire, au cours de l’année 2014, les dividendes versées aux actionnaires du CAC 40 progressent de 30 %, pour atteindre les 56 milliards d’euros. Manifestement, toutes les entreprises ne voient pas leurs marges régresser ! Autant d’argent prélevé sur la richesse nationale qui ne viendra pas alimenter l’investissement, les salaires ou la transition écologique... Le gouvernement peut-il rester passif ? Encore une fois, si la potion amère ne fonctionne pas, c’est qu’il faut augmenter la dose. Loin d’exiger des contreparties au Pacte de responsabilité, l’exécutif s’obstine. (...)
Emmanuel Macron, Manuel Valls, et surtout le Mouvement des entreprises de France (Medef) en rêvaient depuis longtemps, la mission Combrexelle a planché sur la question tout l’été, et rendu ses préconisations ce 9 septembre. Au programme : réduction du Code du travail à un socle de règles essentielles, création d’un « ordre public conventionnel », et recentrage des négociations au niveau des entreprises. Problème : dans un contexte de chômage massif, qui permet le moindre chantage à l’emploi, les salariés sont en position de faiblesse pour négocier au sein de l’entreprise. Cette décentralisation du dialogue social risque ainsi de se transformer... en déconstruction pure et simple du droit du travail (lire notre article ici).
Acte 3 : Haro sur le Code du travail, ce « petit livre rouge » !
Les 1er et 2 septembre derniers, c’est à dire une semaine avant la publication du rapport de la mission Combrexelle, la fondation Terra Nova, think tank proche du PS, et l’Institut Montaigne, situé plus à droite, publiaient leurs expertises, invitant à une transformation radicale du droit du travail. Dans une convergence du calendrier pour le moins surprenante, ces deux rapports suivaient de peu la sortie d’un ouvrage écrit par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, intitulé Le travail et la loi. Les deux juristes y réclament une profonde simplification du Code, par ailleurs qualifié de « petit livre rouge » par certains médias [2]. L’offensive idéologique prépare le terrain pour la « réforme ambitieuse » appelée de ces vœux par le Premier ministre. (...)
Pourquoi tant de haine vis-à-vis des règles qui assurent un minimum de protection et d’équité aux salariés ? L’ouvrage d’Antoine Lyon-Caen et de Robert Badinter, de même que les rapports de Terra Nova et de l’Institut Montaigne, font du Code du travail, renvoyé à sa prétendue « complexité » et à des protections excessives, le premier responsable du chômage français. « Ce constat n’est étayé par aucune étude sérieuse, pas même au sein des institutions les plus libérales comme l’OCDE, rétorque Sabina Issehnane, Maître de conférence à l’université de Rennes 2 et membre des Économistes atterrés, qui contestent frontalement ces orientations. Il s’agit d’un discours purement idéologique. Le vrai problème se situe du côté des politiques d’austérité menées à l’échelle européenne, qui compriment la demande. En persistant sur cette voie, nous allons tout droit à la catastrophe. »
Malgré l’échec des mesures engagées ces trois dernières années, le train des réformes semble parti pour ne pas s’arrêter. A sa remorque, la majorité parlementaire s’affaisse mais ne rompt pas. (...)
Jusqu’où le gouvernement est-il près à déréguler le monde du travail pour le soumettre aux impératifs de la « concurrence libre et non faussée » ? Les réformes réalisées, tout comme celles envisagées, répondent aux orientations de la Commission européenne en matière de réformes du marché du travail. (...)
Le point commun de ces politiques est de sacrifier qualité et stabilité du travail au nom d’une approche visant à réduire son « coût », précarisant une fraction toujours plus importante de la population. La logique trouve son aboutissement dans ce que sociologues et économistes nomment le workfare-state, caractéristique de la régulation du travail dans les pays anglo-saxon. Au Royaume-Uni ainsi qu’aux États-Unis, un taux de chômage en apparence très faible dissimule un marché du travail extrêmement précarisé, des salaires au plus bas, et un dispositif de « retour au travail » mettant les chômeurs sous pression.
Outre manche, les working-poor, littéralement « travailleurs pauvres », sont légion ; ils cumulent parfois plusieurs emplois sans parvenir à vivre décemment. (...)
Epilogue : le retour du partage du temps de travail ?
En France et en Europe, quelles sont les alternatives pour échapper au rouleau compresseur néo-libéral ? « Il faut orienter les politiques publiques sur la satisfaction de besoins fondamentaux, estime l’économiste Sabina Issehnane. Au lieu d’être rabotées, les dépenses publiques devraient être relevées dans l’éducation, les hôpitaux, l’enfance, aussi pour la transition écologique. Il faut un grand plan d’investissement pour le logement social et écologique, une meilleure répartition des richesses. Enfin, engager une véritable politique de réduction du temps de travail. » Comme le rappelait Basta ! dans un précédent article (à lire ici) et contrairement aux idées reçues, en France la politique des 35 heures s’est soldée par la création nette de 350 000 emplois. Malgré de multiples réformes destinées à augmenter la flexibilité du travail et une embellie précaire en 2006 et 2007 [3], le chômage n’a, depuis, toujours pas cessé d’augmenter. En mai 2015, lors de l’élection de François Hollande, le pays comptait 4,36 millions de chômeurs [4]. Il en compte désormais – en juillet 2015 – 5,4 millions. Vous avez dit réalisme ?