
Sept janvier 2014. J’arrive ce matin pour ma xe inscription à Pôle emploi. Dans les mains, mon antique pochette cartonnée renfermant les précieux justificatifs, autant de preuves, puisqu’il en faut, de mon assiduité au travail. Le chômeur ne bénéficie pas de la présomption d’honnêteté. Je m’annonce à l’accueil. Veuillez vous asseoir et patienter.
(...) Un homme s’approche. Cheveux mi-longs rejetés enarrière, barbe fournie, regard noir, la chemise tombant par dessus le jean, la cinquantaine bien vivante. Je l’ai vu tout à l’heure, pensant que c’était un personnel technique, un prestataire venu réparer la chaudière, ou vérifier le système d’alarme. En tout cas, il n’est pas représentatif du conseiller que je me suis habitué à rencontrer jusqu’à maintenant.
– Bonjour. Ceux qui avaient rendez-vous à neuf heures, vous me suivez ?
Comme une seule, environ quinze personnes se lèvent. Nos étonnements sont réciproques. On suit le gars. On s’assoit de nouveau autour d’une grande table, dans une salle de réunion flambant neuve.
Un discours qui détonne
Le bonhomme démarre sur les chapeaux de roues. Il parle vite.
– Pour les inscriptions, je ne reçois pas individuellement. Pas envie de répéter quinze fois la même chose. Surtout qu’à la fin de la journée, avec la fatigue, j’oublie des trucs, et c’est vous qui êtes lésés. Mais s’il y en a qui veulent me voir après, pas de problème, je suis disponible.
Il enchaîne. Propose de passer vite fait sur nos devoirs. Comme on n’est pas des novices, il subodore qu’on doit les connaître nos devoirs, depuis le temps qu’on nous stigmatise avec.
En vrac, Laurent déballe. Il a connu le chômage, après avoir exercé divers boulots. Un frère d’armes ! Nous décrit la machine Pôle emploi, plus apte à ruiner les destins qu’à trouver du boulot. Et pour cause, du boulot y en a pas. Surtout dans le secteur. Il est payé pour le savoir. Alors il nous le fait savoir. Avec lui, pas de suivi mensuel. Faire déplacer des gens qui habitent à trente-cinq kilomètres, c’est mon cas, pour leur dire qu’il n’y a que dalle, c’est pas son truc.
À un moment, je doute. J’attends le piège. Mon regard scrute la pièce, à la recherche de caméras. Laurent continue.
Je vous laisse vous gérer. Pas de convocation avec menace de radiation. Je n’ai jamais radié personne. (...)