
Plus de deux mois à la rue pour les Roms expulsés de la Boissière. Malgré les urgences quotidiennes, prendre le temps de répondre à la désinformation que distille la mairie à l’encontre des familles et des personnes solidaires. Dénoncer les éléments de langage destinés à un public crédule faute d’être mieux informé. Revenir sur l’expulsion du squat rue Faidherbe et les violences policières.
Deux nuits. Les familles Roms expulsées du boulevard de la Boissière, expulsées de la place de la mairie, expulsées de la place Anna Politkovskaïa, expulsées du square Marcel Cachin, expulsées de l’atelier désaffecté de la rue Faidherbe, expulsées de devant le théâtre, expulsées de derrière le théâtre, dorment depuis deux nuits sur le terrain de la halle dite Marcel-Dufriche du nom de la rue qui longe cette étendue d’herbes folles sur laquelle se dresse la charpente métallique d’un ancien bâtiment industriel. Les familles connaissent déjà le lieu, elles y évoquent des souvenirs vieux de près de dix ans. L’ambiance n’est pas mauvaise, un peu nostalgique : on raconte que certains enfants ont appris ici à marcher. Et puis, ils n’en pouvaient plus du trottoir, de vivre sous les yeux des passants, à la merci des poivrots qui s’en prenaient à eux. Les hommes défrichent une parcelle de terrain vague où les familles installent les tentes pour ne pas rester sur la dalle, de peur que des morceaux de fonte rouillée ne leur tombe sur la tête. Ils rêvent tout haut de pouvoir rester là, supputent le montant du loyer qu’ils pourraient payer au propriétaire. Les enfants ne sont pas à l’école et cavalent. Ensemble, on fait semblant d’y croire à cet instant de répit.
On fait semblant de ne pas voir qu’il s’agit d’une étape supplémentaire dans le processus d’effacement des Roms de la ville de Montreuil. Disparaissez ! (...)
depuis dix ans peu de choses ont bougé pour ces quarante personnes ballottées de campements en habitations précaires, chassées de partout sous prétexte de Salon du livre de jeunesse ou d’opérations immobilières, mais jamais relogées. On fait semblant d’une plage et de vacances sous les cocotiers alors que les enfants ne sont pas allés à l’école pour que les familles restent groupées en cas de nouvelle expulsion. On fait semblant d’oublier que ce terrain est insalubre, infesté de rats, qu’il n’y a ni eau, ni électricité. Rendre la réalité acceptable, pour ne pas devenir fous. (...)
La mairie de Montreuil qui n’est pas avare de contre-verités, impute l’échec de l’hébergement d’urgence à une partie du collectif de soutien, qu’elle accuse sans preuve d’avoir « incité les familles à refuser les hôtels », et qu’elle traite « d’irresponsable ». Nul n’a, à aucun moment, dissuadé quiconque de se mettre à l’abri, bien au contraire. Les semaines passent, le froid s’installe, terrible pour tous et particulièrement pour les bébés. Les mensonges divulgués par la mairie de Montreuil pour rejeter la responsabilité de ses propres manquements sur une partie du collectif afin de le diviser et le disqualifier sont odieux. Dans cette terrible situation où des enfants en bas âge sont laissés à la rue depuis si longtemps, qui sont les « irresponsables » ?
Depuis le jour de l’expulsion, le 28 juillet, jusqu’à aujourd’hui, les irresponsables sont à chercher du côté de la mairie de Montreuil, de la préfecture de Seine-Saint-Denis et du ministère du logement, qui se montrent incapables de reloger quelques dizaines de personnes dans des conditions correctes. Pas du côté du collectif œuvrant à trouver une solution sans exclure aucune piste, pourvu qu’elle soit acceptée par les familles qui seules peuvent décider pour elles-mêmes.
Chacun sait, et les habitants de la petite couronne le constatent tous les jours, que la mise en place du « Grand Paris », cher aux élus et aux promoteurs immobiliers, conduit à la rue les populations pauvres, exclues de cette vaste entreprise de gentrification des communes limitrophes à la capitale. Les Roms, minorité parmi les plus fragilisées, subissent de longue date les effets de la ségrégation dont elles sont sans cesse les victimes à l’échelle européenne comme nationale. (...)
La seule volonté politique qui s’exprime est celle d’éloigner des communes proches de Paris ces populations indésirables parce qu’elles sont pauvres et parce qu’elles sont Roms.
En cette interminable période d’état d’urgence, mairie, préfecture et services de police ne s’embarrassent guère à respecter ne serait-ce que les apparences de la légalité, surtout quand les victimes sont des Roms dont on peut à juste titre penser qu’ils ne se défendront pas, par crainte des représailles. (...)
La vision de petits enfants dormant sur des matelas à même le trottoir choque n’importe qui sauf ceux qui auraient le pouvoir de les mettre à l’abri : pas d’ouverture d’un gymnase ou d’une salle municipale pour les petits... qu’importe, ce sont des Roms, qu’ils disparaissent ! La municipalité envoie des engins de nettoyage chasser au jet d’eau les familles qui ont posé leur barda trop près de la mairie ; le conducteur d’un des engins fonce sur deux personnes solidaires qui sont en train de filmer et de photographier la scène du nettoyage des Roms au karcher, il agrippe le photographe par la courroie de son appareil qu’il veut briser... qu’importe ce sont des témoins solidaires, qu’ils disparaissent avec les Roms ! (...)
nous continuerons à chercher, par tous les moyens, la solution pour que les treize familles Roms de la Boissière et leurs dix-neufs enfants ne passent pas l’hiver dehors. Car oui, vis-à-vis de ces personnes à la rue, nous nous sentons responsables.