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Mulhouse : descente aux enfers et retour
Récit : Sébastien Bozon.
Article mis en ligne le 12 mai 2020

Mi-mars à Mulhouse, le virus nous semblait bien lointain : Chine, Italie… Nous ignorions qu’il gagnait du terrain, en silence, parmi les fidèles de l’église évangélique "La Porte ouverte chrétienne", rassemblés dans le quartier de Bourtzwiller. Nos habitudes avaient peu changé. Nous nous serrions la main entre collègues et nous posions des questions aux réponses parfois confuses : “Faut-il porter des gants ? Un masque ? Non, les masques ne servent à rien…”. Le 15 mars, dimanche de premier tour des municipales, j’ai couvert le scrutin. Pour le reste, j’en étais encore à faire ce que l’on appelle des “images d’illustration”, des photos qui illustrent un lieu et une situation mais qui ne sont pas porteuses d’infos en tant que telles. La photo du bâtiment de "La Porte ouverte chrétienne" par exemple.

Soudain, le lendemain, tout s’est accéléré. Le début du "merdier", ai-je envie de dire. D’un seul coup, la frontière a été fermée côté allemand, les supermarchés pris d’assaut, l’usine Peugeot également fermée...

Le 17 mars, déjà, la sensation de l’urgence : je couvre l’évacuation médicale d’un malade infecté par le coronavirus, en hélicoptère. J’ai à peine un quart d’heure pour rejoindre l’hôpital où le patient doit être récupéré. (...)

C’était mon premier “contact” avec la maladie et la scène racontait toute sa gravité : les soignants étaient couverts de la tête aux pieds, masques, gants, charlottes, blouses ! Le brancard harnaché, le malade branché de partout, le respirateur… (...)

C’était mon premier “contact” avec la maladie et la scène racontait toute sa gravité : les soignants étaient couverts de la tête aux pieds, masques, gants, charlottes, blouses ! Le brancard harnaché, le malade branché de partout, le respirateur… (...)

Le bourdonnement des hélicoptères dans le ciel de "Covid-city" -Mulhouse que nous avions rebaptisée ainsi entre collègues et amis- est devenu familier. (...)

Chaque jour, il me fallait non seulement photographier ces scènes mais aussi ​récupérer contacts et témoignages, vérifier des infos, négocier en permanence les autorisations et accès avec l’hôpital, l’armée... Impossible de sortir la tête de l’eau. (...)

Pendant ce temps, le coronavirus continuait sa macabre entreprise, débordant les services hospitaliers. Après Mulhouse, il s’attaquait à Colmar, où nous avons réussi à obtenir l’autorisation - la première - de réaliser un reportage aux urgences. L’Alsace avait en quelque sorte deux semaines “d’avance” sur le reste du pays et jusque-là personne en France n’avait conscience de la situation. Ces images, ont fait comprendre au reste du pays ce qui l’attendait. (...)

Une fourmilière. Un bal incessant d’ambulances déchargeant des malades, très vite pris en charge. L’impression d’un bazar tout à fait organisé où chacun sait ce qu’il a à faire, comme une espèce de chorégraphie. Un flux continu, presque enivrant. Tu sens la solidarité, les équipes se serrent les coudes, c’est éreintant. C’était assez fou aussi, très très impressionnant. (...)

Personne ne m’avait forcé, mais il me semblait indispensable de raconter “toute” l’histoire, y compris ces enterrements et ces deuils escamotés. J’ai tenté de préserver mes proches. Ma compagne n’a pas vu toutes ces photos. Mais quand je lui demandais de me préparer un sac poubelle sur le pas de la porte pour y mettre mes vêtements de retour de reportage, elle n’était sans doute pas dupe….

J’ai fait deux ou trois reportages dans des zones à potentiel viral élevé. Là, quand je rentrais, je me déshabillais sur le pas de ma porte, toutes mes affaires partaient à la machine et je fonçais sous la douche. Tous les jours, je désinfectais tout le matériel et les semelles de mes chaussures dans la voiture, mais aussi le volant, le levier de vitesse, les poignées à peu près systématiquement. Je savais que ma compagne allait peut-être prendre notre voiture pour aller faire des courses. C’est le gros truc de la maladie : il faut se préserver soi-même et préserver les autres. (...)

J’ai fait attention : je portais toujours au minimum un masque pour tous mes reportages, mais malgré mes précautions je pense avoir attrapé le virus, sans beaucoup de symptômes, essoufflement, maux de tête... Ma compagne aussi a priori. Je ne sais pas si je l’ai ramené d’un reportage ou si c’est elle qui l’a ramené du supermarché. Mais c’est pesant. Cela tourne à l’obsession, la psychose, ça tourne tout le temps, en boucle. J’aimerais beaucoup être testé pour savoir si j’ai vraiment été infecté. (...)

J’ai fait un reportage la semaine passée sur des patients qui rentraient chez eux, un beau point final, parce que cette maladie, on en guérit aussi. Des gens meurent, mais énormément s’en sortent. (...)