
Entretien avec Camille, porte-parole de l’Assemblée citoyenne de Commercy. Didier Fradin est contributeur de plusieurs expérimentations citoyennes et participatives à #MAVOIX et La Belle Démocratie. Il a profité de sa présence lors de “La commune des communes”, à Commercy en janvier 2020 pour interviewer plusieurs membres de l’assemblée citoyenne au sujet du rapport entre Gilet jaunes, communalisme et municipalisme.
Dans leur appel, les gilets jaunes de Commercy insistent sur la nécessité d’un lieu autonome, non dépendant du bon vouloir du maire, destiné aux rencontres citoyennes. A Commercy, comme sur de nombreux ronds-points, ils construisent des « cabanes », dans d’autres endroits, comme à St Nazaire, il s’agit d’une maison du Peuple, une des revendications portées par ces mouvements populaires, ce qui n’est pas sans rappeler les friches dont l’Asilio à Naples est un bon exemple.
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CAMILLE : Au début, avec les cabanes, on faisait des assemblées quotidiennes (en 2 mois, 60 rencontres), et on a constaté, comme pour le mouvement national, un essoufflement, légitime, et l’idée de formaliser l’Assemblée des Assemblées s’est imposée, avec comme enjeu prioritaire d’horizontaliser le mouvement des gilets jaunes pour éviter le renforcement/émergence de « chefs » et de généraux Facebook.. Le municipalisme libertaire est alors apparu à certains comme une évidence, un prolongement de la lutte, au niveau local, alors que d’autres y étaient fondamentalement opposés, ce qu’il nous fallait respecter.
On a donc démarré l’Assemblée Citoyenne de Commercy en élargissant le cercle, avec des personnes engagées dans une association auto gérée (la Convive2) et avec des citoyens. On a organisé une rencontre avec Annick Stevens, de l’université populaire de Marseille, spécialiste d’Aristote et du municipalisme libertaire, qui est venue accompagner et animer la première rencontre citoyenne à Commercy au mois de mai, et en Juin, se lance la première réelle Assemblée Citoyenne, en engageant le processus démocratique nécessaire.
En septembre, on pose la question « Fait-on une liste pour les municipales ? », après des rencontres à thème tout l’été, (autonomie énergétique, traitement des déchets, comment faire des assemblées populaires locales), et, après un vote, l’idée est adoptée dans le sens de rendre totalement le pouvoir de décision aux habitants, ce qui nous différencie des listes « un peu » participatives qui ont finalement un fonctionnement classique. Nous nous réclamons de la démocratie directe, au point que nous n’avons même pas de programme établi, uniquement des propositions qui seront débattues en assemblée après les élections, sans jamais les imposer. (...)
On s’est donc mis à discuter de la méthode, en s’interdisant d’aborder des propositions précises, on veut vraiment aller au bout de la démocratie directe. De septembre à novembre, on a avancé là-dessus, on va maintenant pouvoir approfondir le cadre concernant l’axe programmatique. La seule promesse faite, c’est de délibérer avec les habitants sur les propositions, de ne pas les appliquer directement.
Voici les axes proposés à la réflexion, tous tournés vers l’autonomie de la Commune :
autonomie énergétique, (économies : rendre du pouvoir d’achat aux habitants)
logement (rénovation écologique et isolation des logements sociaux)
lien social
mieux vivre
développement économique (coopératives, monnaies locales, financements citoyens)
Ces propositions sont à nos yeux de l’ordre de l’écologie sociale, et en ça elles ne reflètent pas le sentiment majoritaire de la Commune. Le doute, en ce qui concerne la démocratie directe, c’est de se retrouver avec une population qui préférera ouvrir un centre commercial que de se donner les moyens d’assurer la transition écologique.
On a choisi de faire confiance à l’intelligence collective, mais on va essayer d’apporter au sein de l’assemblée citoyenne suffisamment d’éducation populaire pour faire évoluer ces idées-là. Le débat ne suffit pas, il faut mettre en place des lieux de vie en commun, une maison du peuple, des locaux auto-gérés où les gens se rencontrent, à l’image des cabanes qui ont vu naître l’aventure des Gilets Jaunes.
On s’est rencontrés autour des problèmes de fin de mois, et les échanges nous ont beaucoup enrichi, on a vraiment avancé. C’est cette expérience qu’on aimerait reproduire au niveau de la commune, partager cette montée en connaissance, autour de ces lieux. (...)
Avec les Assemblées de Saint Nazaire et Montpellier, il n’y a pas vraiment d’alliance ni de fédération, il y a plutôt cette envie de plateforme, de rencontre, d’échange. Si la liste ne gagne pas l’élection, l’assemblée, elle, continuera à vivre, et du coup les outils qu’on aura expérimentés pourront servir à d’autres, c’est ça la « Commune des Communes ».
L’idée de mettre en commun des outils, des méthodes, des expérimentations, aussi, c’est la base d’un pouvoir d’agir qui naît d’en bas, pour s’autonomiser des décisions qui viennent par le haut, par l’Etat-Nation, pour une alternative avec des valeurs plus humaines, écologiques, durables.
La Commune des Communes permet de dépasser la dimension inter-gilets jaunes, qui perdurera plutôt au niveau de l’Assemblées des Assemblées, ça ne traite pas que de l’élection, mais de toutes les initiatives coopératives, des lieux auto-gérés, de tout ce qui contribue à une alternative politique, qui redonne le pouvoir à la base. C’est une rencontre qui pourrait mener à une Confédération des communes libres, telle que Bookchin la conçoit. (...)
L’idée qui demeure, forte, c’est de refuser la délégation du pouvoir dont chacun dispose. La représentation n’est plus la réponse aux besoins du peuple. Du coup, prendre la mairie c’est un peu reprendre les moyens de faire. L’assemblée citoyenne décide comment les organiser, l’exécutif exécute, et il y a des cas où il est nécessaire d’avoir recours aux services municipaux ou aux équipements pour exécuter des décisions (c’est plutôt les services qui exécutent, dans le sens de « faire Concrètement »). Le maire et le conseil municipal ont à la fois le rôle de « valideurs officiels » par « délibération », et sont aussi des courroies de transmission des demandes de l’Assemblée aux services municipaux. Ces décisions peuvent également être directement mises en œuvre par les habitants ou les composantes sans le concours des services municipaux. (...)