
Deux hommes séparés de leurs enfants par la justice ont défrayé la chronique en montant sur des grues à Nantes ces derniers jours et, pour l’un d’eux, en restant perché tout le week-end. Cette action coup-de-poing survient à quelques jours d’une manifestation nationale prévue mercredi par une association de pères pour « dénoncer les dérives du pouvoir judiciaire » en matière de justice familiale.
(...) Ce lundi matin, on peut toujours voir le premier grimpeur avec sa grande banderole bien visible, trois téléphones portables à disposition pour répondre aux journalistes, faisant le V de la victoire aux caméras de télévision.
Cette situation rappelle étrangement des actions organisées par des groupes d’hommes anglais et québécois de « Fathers for justice », il y a quelques années. Si la ressemblance est frappante, elle n’a, en fait, rien d’étrange.
Lorsque j’ai infiltré ces mouvements à Montréal, j’ai pu entendre dans les moindres détails la stratégie que ces militants de la cause masculine désiraient mettre en place sur le plan international. Cette affaire des grues de Nantes en fait partie et n’est en rien un coup de folie d’un père isolé. C’est un long travail politique qui n’en est qu’à son début.
Mais tout d’abord, qu’est-ce que le masculinisme ? Il s’agit d’une mouvance également nommée « anti-féminisme », qui propose le rétablissement de valeurs patriarcales sans compromis : différenciation radicale des sexes et de la place de l’homme et de la femme à tous niveaux de la société, suprématie de l’homme sur la femme dans la famille, mais aussi la conduite de la cité, défense du couple hétérosexuel très durable comme seul modèle possible, éducation viriliste des garçons et donc refus de toute égalité des femmes et des hommes. Ils nient l’importance des phénomènes de la violence conjugale, de l’inceste et du viol, qui seraient des inventions des féministes, que certains d’entre eux nomment « fémi-nazis ».
Ils considèrent les avancées des luttes de femmes et des homosexuels en vue de l’égalité comme une destruction du modèle social sur laquelle il faut revenir. Le divorce étant beaucoup plus souvent demandé par les femmes, ils espèrent un durcissement des conditions de son obtention. Leur lutte est donc celle de la défense du pouvoir masculin ancestral à tous niveaux de la société.
C’est au nom de ces idées rétrogrades qu’un jeune homme a massacré quatorze étudiantes de l’école polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989, estimant qu’elles prenaient la place des hommes. Le tueur est ensuite devenu le héros des masculinistes les plus « décomplexés ».
Les masculinistes ont donc partagé confidentiellement avec moi les différentes stratégies mises en place, notamment au Québec, pour faire valoir leurs idées. Mais analysant leur échec, ils m’ont aussi décrit les conseils qu’ils prodiguaient à leurs émules français, belges, suisses, espagnols… Leur stratégie consiste à fonder leur communication sur les pères à travers deux arguments.
– Le premier revient à dénoncer, parfois de façon paranoïaque, la collusion entre magistrats, médias, politiques afin d’évincer les pères de la vie de leurs enfants. L’argument apporté par un des deux hommes de Nantes est, mot pour mot, une phrase ressassée par les Québécois depuis des années : « 80% des enfants sont confiés majoritairement aux mères par la justice ». Ils oublient de dire que dans 80% des cas, les pères souhaitent qu’il en soit ainsi. Un week-end sur deux et la moitié des vacances leur suffisent, et il n’y a donc aucun conflit sur ce point. Cela paraît normal dans une société où les femmes s’occupent encore à 80% des tâches parentales et domestiques. Les actions médiatiques entreprises habituellement par les masculinistes visent donc à attirer l’attention des médias sur des données chiffrées tendancieuses et que la presse vérifie rarement.
– Le second argument est l’invention par un masculiniste défendant la pédophilie, Richard Gardner, du « Syndrome d’aliénation parentale » ou « SAP ». Outre l’aspect nauséabond de son inventeur, on ne peut que remarquer que de syndrome il n’y a guère, puisque aucune faculté de médecine ou de psychologie au monde, aucune institution n’a jamais reconnu ce concept comme valide.
Il s’agit de l’idée que lors d’un divorce, la femme (ou l’homme, mais les masculinistes s’en prennent évidemment aux femmes) aurait tendance à dénigrer l’image du père de ses enfants auprès de ceux-ci afin de les en écarter. Les pères seraient donc des centaines de milliers à être sortis de la vie de leurs enfants par la justice à cause de ce pseudo-syndrome.
Ce prétendu syndrome sert de paravent aux hommes accusés de violences conjugales ou d’agressions sexuelles sur leurs enfants. (...)