
Une vidéo, devenue virale dans plusieurs pays d’Europe, prétend montrer une équipe de télévision en train de mettre en scène une noyade de migrants sur une plage de Crète. Nous avons retrouvé deux membres de l’équipe de tournage incriminée : ils tournaient en réalité un documentaire sur l’exode des Grecs d’Asie mineure de 1922.
"Pauvres petits migrants ! C’est exactement comme ça que ça passe, tout ce qu’ils nous montrent à la télé ! C’est une blague ? La réalisatrice est en train de tourner la scène du ’les migrants se noient dans la mer’ ", explique une voix d’homme en tchèque. (...)
Les images, tournées fin juillet sur une plage de Ierapetra, en Crète (voir "Comment nous avons procédé" en bas de l’article), interpellent d’autant plus que leur auteur tourne son appareil à deux reprises vers la plage, zoomant sur un groupe de trois personnes se tenant autour d’un appareil photo posé sur un trépied et orienté en direction de la mer.
La présence de ce groupe à proximité de l’appareil peut laisser penser qu’il s’agit de journalistes ou d’une équipe de tournage. (...)
Depuis le 31 juillet, des dizaines de sites internet, de pages Facebook et de comptes Twitter ont publié ces images, affirmant ou sous-entendant à chaque fois qu’elles donnaient à voir des journalistes en plein travail de manipulation. (...)
Selon notre décompte, la vidéo totalise en trois semaines plus de 1,2 million de vues sur Youtube, Facebook et Twitter. Elle a été partagée des dizaines de milliers de fois, en République tchèque tout d’abord, mais aussi en Pologne, en France, au Royaume-Uni, et en Espagne notamment. (...)
Contacté par l’AFP, "Marek Ch" (qui a confirmé s’appeler Marek Chrastina) a confirmé samedi 25 août, trois jours après la publication de notre enquête, être l’auteur de la vidéo, tournée selon lui le 23 juillet.
Nous avons par ailleurs retrouvé deux des membres de l’équipe de tournage accusée d’avoir mis en scène la noyade. (...)
Avant d’être contactée par l’AFP, Mme Vlassi ignorait qu’une vidéo l’accusant de manipulation circulait sur internet. Et encore moins que celle-ci était virale dans plusieurs pays d’Europe.
"La scène est censée se passer en Turquie, en 1922"
Interrogée, elle explique sa version des faits, totalement différente de celle de la vidéo l’incriminant :
"Ces plans [qu’elle est en train de réaliser sur la vidéo de "Marek Ch"] ont été tournés dans le cadre du tournage d’un documentaire intitulé ’La Terre de Notre-Dame des Douleurs’, qui revient sur la ’catastrophe’ d’Asie mineure de 1922", lorsque des milliers de Grecs d’Asie Mineure, chassés des décombres de l’empire ottoman, ont afflué en Grèce, détaille Eleni Vlassi à l’AFP.
"La scène est censée se passer en Turquie, en 1922, quand les Grecs ont fui l’incendie d’Izmir. Ils s’échappaient par la mer, et certains se noyaient", poursuit-elle, insistant sur le fait que cette séquence "n’a aucun lien avec les migrants actuels".
Mme Vlassi a indiqué à l’AFP "se réserver le droit d’entreprendre une action en justice" contre l’auteur de la vidéo l’incriminant - au vu de la viralité de celle-ci.
Le tournage de son documentaire a débuté en septembre 2017 et s’est terminé le 24 juillet 2018, et cette scène est l’une des toutes dernières à avoir été filmée, "entre le 20 et le 24 juillet", selon Eleni Vlassi.
Les personnes filmées dans l’eau, et accusées pour certaines de simuler une noyade, "sont des volontaires des associations culturelles de Crète et des associations des Crétois originaires d’Asie mineure", ajoute-t-elle.
La réalisatrice n’a pas souhaité nous fournir une copie du documentaire dans son intégralité, ce dernier étant en lice dans plusieurs festivals, a-t-elle expliqué, arguant de raisons juridiques.
Elle nous a en revanche fait parvenir la bande-annonce de son documentaire : sur celle-ci, aux 4e et 5e secondes, les acteurs apparaissant sur la vidéo de "Marek Ch" sont visibles (...)
Interrogé samedi par l’AFP, Marek Chrastina, à qui nous avons envoyé l’extrait de la bande-annonce du documentaire, a reconnu que sa vidéo présentait les faits de manière "erronée" :
"J’ai mal interprété la situation, et je suis désolé d’avoir publié la vidéo avec un commentaire erroné", a-t-il dit, affirmant présenter "[s]es excuses".