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Libération
Non, le boxeur Christophe Dettinger n’avait pas de « gants plombés »
Article mis en ligne le 1er mars 2019

La fausse information, émanant d’une « source policière », avait notamment été relayée par France 2 et France Inter, ainsi que plusieurs syndicats de police. Retour sur la fabrication d’une intox.

L’ex-boxeur Christophe Dettinger a été condamné le 13 février à un an de prison ferme, aménageable en semi-liberté, et 18 mois de sursis avec mise à l’épreuve pour avoir frappé deux gendarmes le 5 janvier, lors de l’acte 8 des gilets jaunes.

Le procureur avait requis trois ans dont un de sursis avec mise à l’épreuve et demandé le maintien en détention du prévenu, pour un geste d’une « violence inouïe » contre deux gendarmes. (...)

C’est France Inter, le 7 janvier à 12h20, qui donne en premier la fausse information, affirmant que les gants ont été retrouvés au domicile de l’ex-boxeur, et qu’ils étaient coqués et lestés de plomb : « Christophe Dettinger a utilisé des gants coqués, lestés de plomb, des gants retrouvés à son domicile. Ce sont des gants de motards, mais cela pourrait aussi signifier que l’ancien boxeur professionnel a prémédité son acte. » (...)

Le JT de 13h de France 2 donne, avec moins de détails, la même info une grosse demi-heure plus tard. « Il est soupçonné d’avoir frappé avec des gants coqués au moins deux gendarmes », détaille un journaliste lors d’un duplex.

L’information est reprise quelques heures après par Francetvinfo, citant France 2 : « Ses gants étaient « coqués », c’est-à-dire renforcés avec du plomb, précise une source policière à France 2. »

Un média étranger (l’édition suisse de 20 minutes) titre même sur le fait que le boxeur avait des « gants en plomb. » (...)

Toujours le 7 janvier, le Progrès évoque des gants « renforcés », tandis que, dans le 20h de France 2, un reportage est consacré à l’affaire. On y entend la même affirmation, sans conditionnel : « Il (Christophe Dettinger, NDLR) se présente comme un manifestant qui a cédé à la colère, mais il portait samedi des gants renforcés. L’enquête devra déterminer si ces violences étaient préméditées. »

Le lendemain, Francetvinfo relaye à nouveau l’accusation, cette fois dans la bouche du porte-parole du syndicat des Cadres de la Sécurité intérieure Christophe Rouget (...)

La Dépêche et la Nouvelle République des Pyrénées relaient à leur tour l’accusation dans la bouche d’une autre syndicaliste, et écrivent sans conditionnel que les gants de moto coqués et lestés de plomb ont été retrouvés suggérant une préméditation (...)

Le 9 janvier, on lit sur France Bleu : « Au moment des faits, ses gants étaient « coqués », c’est-à-dire qu’ils étaient renforcés avec du plomb ».

Sur les réseaux sociaux, l’intox sera largement reprise par les « anti-gilets jaunes. »

« Les gants sont sous scellés, ils ne sont ni coqués, ni plombés, ni renforcés »
Problème, cette affirmation est donc inexacte. Il était d’ailleurs aisé de voir, sur les clichés pris au moment des faits, qu’il ne s’agit pas de gants de motard « coqués ».

Sur certaines photos (que certains twittos ont fait circuler rapidement pour démentir la version « policière ») on arrive (en zoomant) à distinguer la marque des gants que porte Christophe Dettinger. (...)

« Toute cette histoire est complètement fausse, dit un des avocats du boxeur, Maître Vigier. Les gants ont été saisis et placés sous scellés : ils n’étaient ni coqués, ni plombés, ni renforcés. Cela ne figure d’ailleurs nulle part dans la procédure et cela n’a pas été évoqué à l’audience puisque ce n’est donc pas un sujet. » (...)

Comment la fausse information s’est trouvée dans les médias ?
Comment cette fausse information s’est trouvée dans les médias ? Sur France Inter et France 2, la source n’a pas été précisée. En revanche, les articles publiés sur le sujet sur le site de Francetvinfo reprennent l’info de France 2, en affirmant qu’elle provient d’une « source policière. »

Contacté par CheckNews, Emmanuel Leclère, l’auteur du premier article de France Inter, explique ce qu’il reconnaît a posteriori être une « erreur » : « J’avais deux sources m’affirmant qu’il s’agissait de gants coqués. Sur la photo, en zoomant, j’avais cru aussi que c’était le cas. L’une des deux sources a ensuite précisé que c’était des gants d’entraînement, donc lestés. On l’a rajouté dans le papier. » (...)

Contacté par Checknews, le journaliste de France 2 ayant livré l’info en direct lors du JT de 13h du 7 janvier explique qu’il n’a pas lui-même récolté l’info, celle-ci lui ayant été transmise par le service enquête de la rédaction, ce que confirme à CheckNews un des responsables du service, Olivier Carow : « l’info nous a été donnée par une source normalement fiable. On a décidé de la donner, avant de voir que France Inter avait aussi la même, probablement à partir de la même source. On s’est rendu compte, par la suite, que l’info était fausse ».

CheckNews a aussi contacté Christophe Rouget, secrétaire général adjoint du syndicat des Cadres de la Sécurité intérieure (SCSI), qui a relayé l’information. Il explique l’avoir « vue sur France Inter, un média sérieux » et l’avoir répétée. (...)

CheckNews a enfin tenté de contacter, Linda Kebbab, secrétaire nationale de SGP Police, qui a aussi diffusé la fausse information. En l’absence de réponse, impossible de savoir si elle a aussi rapporté les erreurs des journalistes, ou a été induite en erreur par des sources internes à la police (...)

Tentative de manipulation, ou source mal informée ?
Y a-t-il eu, dans la guerre de communication autour des gilets jaunes, une volonté d’ « enfumage » de la police pour contrebalancer le récit héroïque qui émerge alors dans une partie de l’opinion autour de Dettinger, « le boxeur gilet jaune », « l’homme qui a fait reculer à mains nues un cordon de gendarmes » ? Ou s’agit-il plus prosaïquement d’une source mal informée ?

Ce qui est sûr, c’est qu’au moment où les journalistes de France 2 et de France Inter communiquent, le 7 janvier, les gants ont été retrouvés (ils l’ont donc été la veille), et les enquêteurs savent donc qu’il ne s’agit que de gants ordinaires. (...)

Il n’y a pas eu de rectificatif à l’antenne de France 2. « On fait des rectifs quand cela a des vraies conséquences, ou bien sûr quand l’intéressé ou ses avocats nous demandent de le faire. Cela n’a pas été le cas », explique Olivier Carow. Il n’y a pas eu davantage de correctif sur France Inter (« parce que les avocats n’ont rien dit à ce sujet, à ce que je sache, dans les jours qui ont suivi », explique Emmanuel Leclère) ni, à notre connaissance, dans aucun des médias ayant relayé la fausse information.