
Alors que 50 personnes ont été assassinées froidement, méthodiquement par un terroriste suprémaciste blanc en Nouvelle-Zélande, alors que le choc, la tristesse, la solidarité partout dans le monde s’expriment contre cet acte odieux et en soutien à la communauté qui l’a subi, une partie de la presse occidentale semble vouloir passer, très vite, « à l’analyse ». Elle veut réfléchir à chaud, penser l’événement, « prendre de la hauteur »… quitte à sacrifier un peu le temps de l’émotion, celui du deuil. Faire acte de raison, tout de suite. C’est bien un truc de blanc, la raison, supposent-ils.
Défilent alors dans les médias occidentaux, sur les chaînes d’info en continu, en Une ou dans les tribunes de journaux papiers, sur les plateaux de talk-show, des éditorialistes, journalistes, hommes et femmes politiques, invités qui se font experts et se penchent sur le problème de ce type, « ce tireur isolé » (comme ils l’appellent). Les voilà donc qui triturent sa pauvre prose, sa vie « ordinaire », pour « expliquer » et « comprendre » l’innommable. Un premier ministre français avait récemment dit en parlant du parcours de djihadistes meurtriers « qu’expliquer, c’était excuser », et ces mêmes éditocrates, en France, ne le lui avaient pas reproché. Heureusement, ils ont changé d’avis. Et se sentent donc la légitimité pour faire œuvre d’analyse, mais de ce fait aussi, publier, diffuser, reprendre les idées de ce terroriste… et les exposer sur la place publique. Imagine-t-on les médias français le lendemain d’une attaque meurtrière commise au nom de l’islam faire ainsi circuler les thèses d’un terroriste islamiste ?
On voit alors surgir la force opérée par la pensée raciste, islamophobe, identitaire et son caractère tristement performatif, imprimé sur les 50 corps de ces personnes abattues parce qu’elles allaient prier. On voit alors la responsabilité qui pèse, lourdement, sur la libération d’un discours droitier, fascisant, au sein des sociétés occidentales, dans la radicalisation des esprits, dans la stigmatisation des uns, dans la violence opérée par d’autres. On voit alors cités, encore, des pseudo-penseurs qui auraient dû, il y a longtemps, être tenus à distance des plateaux télé, ou du moins sereinement contredits, à chaque fois qu’ils y prenaient la parole pour déverser leurs horreurs. Encore, leur flux. Encore, eux. On invite l’ultradroite à parler.
Il est vrai qu’il faut sûrement lui laisser dire sans pudeur qu’évidemment elle n’y est pour rien, que le terrorisme, la violence, le meurtre, c’est toujours l’autre, que son discours de haine, à elle, est raisonnable et fondé, que ce n’est pas parce que l’islamophobie a tué, tue et tuera encore, qu’on a pas le droit d’être islamophobe, qu’on peut défendre la théorie du « grand remplacement » parce que ça se voit bien, et qu’on doit surtout continuer à parler d’immigration pour faire vivre le débat démocratique et la liberté d’expression (ça c’est Charlie).
Ce sont les mêmes qui, pourtant, à chaque attentat terroriste commis au nom de l’islam, demandent aux musulmans du monde entier de se désolidariser, de prendre fermement position contre la violence, de mettre des hashtags #notinmyname un peu partout… et puis surtout de se faire discrets. (...)