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La Quadrature du Net
« Nous sommes en guerre »
La Quadrature du Net publie ici une tribune de Laurent Chemla, membre du Comité d’Orientation Stratégique de La Quadrature du Net.
Article mis en ligne le 8 mai 2016
dernière modification le 4 mai 2016

En ces temps où la peur semble partout gouverner, où l’État nous incite à nous méfier de tous, où la menace terroriste est prégnante et où « nous sommes en guerre », le mot d’ordre est désormais : « sécurité ».

Le monde numérique ne saurait y échapper.

Qu’il s’agisse de nous protéger du « méchant pirate chinois » qui pénètre nos entreprises pour voler leurs brevets, du hacker fantasmé portant hoodie (et lunettes noires) quand il utilise son PC pour nous inonder de ransomwares ou des GAFAM qui nous espionnent pour le compte de la NSA... à en croire les médias, tout comme notre quotidien déconnecté, notre vie en ligne semble chaque jour plus dangereuse.

Évidemment il ne faut pas exagérer la menace. De la même manière que certains hommes politiques ont intérêt à exacerber le sentiment d’insécurité pour obtenir des voix en faveur d’une offre politique de fermeté, les marchands de peur exercent aussi leur art dans le numérique. Dans nos sociétés en crise existentielle, le FUD est vendeur, mais il exagère la menace pour mieux nous convaincre d’acheter.

À n’entendre que le discours des vendeurs, on finirait par croire qu’il est impossible d’utiliser un ordinateur dépourvu des protections logicielles qu’ils proposent, au risque sinon de mettre en danger nos entreprises, nos photos, nos correspondances privées et nos comptes en banque... et on aurait raison d’y croire : tout ceci est vrai, y compris en utilisant ces outils.

N’importe quel expert vous le dira : en informatique, la protection totale est totalement illusoire. Non que les divers antivirus, firewalls et autres outils de chiffrement soient inutiles : ils sont indispensables. Mais leur portée est nécessairement limitée, d’abord parce qu’ils auront toujours un temps de retard face à des attaques toujours plus perfectionnées, mais aussi, surtout, par le facteur humain.

Tant que nous ouvrirons sans y faire attention n’importe quel fichier attaché, tant que nous refuserons d’appliquer les mesures de sécurité les plus strictes au motif étonnant qu’elles empêchent toute liberté d’action, bref, tant que nous nous comporterons en humains, alors nous aurons des failles qui, un jour où l’autre, seront utilisées. (...)

Pour autant, et parce que nos failles sont humaines, nous pouvons aussi apprendre quelques simples mesures de prophylaxie pour limiter les dégâts en cas d’intrusion.

Apprendre à distinguer ce qui relève de la correspondance privée de ce qui relève de la communication publique, par exemple, permet de limiter la première aux outils les plus sécurisés (email, chat sécurisé...) tandis que la seconde pourra s’exercer sans limite sur les réseaux sociaux. Apprendre aussi que notre vie privée dépend tout autant de la sécurité de ceux avec qui nous échangeons que de la nôtre, et en tenir compte dans nos échanges, limiterait déjà largement les fuites. Apprendre encore la valeur fondamentale de notre vie privée, que nous oublions trop facilement, serait déjà une motivation puissante à faire les quelques efforts nécessaires pour mieux la garantir.

Sans parler des mesures plus techniques, qui ne sont pas l’objet de cet article. (...)

Dans un monde où, bien sûr, la menace est réelle, mais où elle sert trop souvent de justification pour faire accepter des mesures démesurées, inutiles ou même plus dangereuses encore que ce contre quoi elles affirment lutter, la raison est pourtant notre seule arme vraiment efficace. Il est difficile, c’est vrai, de prendre du recul quand on vit dans la peur. C’est pourtant nécessaire. Indispensable.

Face à des dangers bien réels, nous n’avons d’autre choix que de (ré)apprendre à vivre dans une relative insécurité. (...)