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Nous voulons des paysans !
Par Olivier De Schutter, ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation (2008-2014) et une quinzaine de spécialistes européens de la question
Article mis en ligne le 27 septembre 2018

Des personnalités de toute l’Europe lancent un dernier appel pour que la "Déclaration des droits des paysans" soit votée au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ce vendredi à Genève.

Cette semaine à Genève, le Conseil des droits de l’homme doit prendre position sur les suites à donner à un projet de Déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. La déclaration a été négociée depuis 2013 au sein d’un groupe de travail intergouvernemental, dans un climat parfois tendu. Le moment qui arrive est décisif.

Le 3 juillet dernier, à une large majorité de 534 votes contre 71 (et 73 abstentions), le Parlement européen a adopté une résolution demandant que les États membres de l’Union européenne appuient le projet de Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. Nous réitérons cet appel.

S’agrandir ou disparaître

Partout dans le monde, les paysans et paysannes sont confrontés à la spéculation foncière et à l’accaparement de terres. Les paysan(ne)s qui s’inscrivent dans les chaînes agroalimentaires dominantes font face à une concentration toujours plus forte, aussi bien dans les secteurs de l’agrochimie et des semences, qui fournissent des intrants, que parmi les industries de transformation agroalimentaire et les distributeurs, qui achètent les récoltes. Quant à celles et ceux, toujours plus nombreux, qui s’inscrivent dans les circuits courts, ils font face à des réglementations inadaptées car conçues pour l’agriculture industrielle, et à un système de subsides qui favorise les plus grandes exploitations (...)

Pour des pratiques agroécologiques

Il ne s’agit pas ici de défendre les intérêts corporatistes d’une profession. Il s’agit de défendre un certain modèle agricole, dont nous n’acceptons pas la disparition programmée. C’est l’agriculture paysanne qui contribue au maintien de l’agrobiodiversité dans nos champs et qui entretient le mieux la santé des sols, par des pratiques agroécologiques qui misent sur la diversité et permettent un meilleur stockage du carbone (...)

C’est l’agriculture paysanne qui contribue le mieux au développement des zones rurales et à combattre leur dépeuplement : en la soutenant, c’est un gisement d’emplois inexploité que l’on peut créer. Et ce qui est vrai des pays européens est vrai, à plus forte raison, dans les pays en développement. (...)

Peur de "nouveaux" droits ?

Que craint-on ? Que la Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales vienne consacrer des "nouveaux" droits ? L’essentiel de ce qu’elle contient reprend des promesses déjà consacrées ailleurs, que ce soit dans des instruments internationaux de protection des droits de l’homme ou dans des textes moins connus (et plus souvent cités, il est vrai, à Rome, où se situent les principales organisations onusiennes qui luttent pour la sécurité alimentaire mondiale, qu’à Genève) : la Déclaration ne fera que rendre plus visible ce qui est déjà là, mais dispersé, sous une forme tellement discrète qu’on en oublierait presque ces serments, réitérés de sommet en sommet, à soutenir l’agriculture familiale et les systèmes agroalimentaires locaux, afin de faire reculer la pauvreté rurale et la malnutrition.

Peur de l’idée de "droit à la terre" ? (...)

Le sens de l’histoire

Craint-on la référence à la souveraineté alimentaire, cette revendication d’abord formulée depuis plus de vingt ans par la Via Campesina, le mouvement transnational de paysans qui compte aujourd’hui 200 millions de membres, et portée à présent par de nombreux mouvements sociaux ? La Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire elle-même reconnaît la nécessité d’encourager "la production et l’utilisation de cultures vivrières appropriées sur le plan culturel, traditionnelles et sous-utilisées" (objectif 2.3). Et tous les experts ayant travaillé sur les causes de la faim et de la malnutrition le savent bien : c’est la priorité quasi exclusive donnée aux cultures de rente dans les pays pauvres, dans la quête où ces pays se sont mis de devises étrangères afin de rembourser leur dette extérieure, qui est la cause principale de la pauvreté rurale. Changer de cap est possible, mais cela suppose de relocaliser les systèmes alimentaires, et de permettre que les paysan(ne)s participent à la définition des politiques qui les concernent : l’expression de souveraineté alimentaire ne désigne pas autre chose.

En soutenant la Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, l’Union européenne s’inscrira dans le sens de l’histoire. (...)

Ce ne sont pas que des mots : cela exige des actes. Le moment est venu.