
La crise sanitaire liée au Covid-19 a fait des masques en tissu un élément sanitaire essentiel. Face à la pénurie industrielle de masques, l’État a dans un premier temps caché son incapacité d’agir derrière des discours sur leur supposée inutilité, incapacité qui l’a dans un second temps contraint à faire appel aux initiatives populaires pour combler (bénévolement) ces manquements. Pour le dire autrement, les femmes ont été appelées à participer à « l’effort de guerre » et ne sont, encore une fois, pas rémunérées. Contre cette idée, le collectif Bas les Masques ! affirme que le travail des couturier·ère·s, costumier·ère·s, professionnel·le·s, indépendant·e·s, artisan·e·s, intermittent·e·s, salariées a une histoire et une valeur qui doivent être respectées.
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Nous sommes des professionnelles de la couture : intermittentes du spectacle, artisanes, artisanes d’art, indépendantes, cheffes de TPE dans la mode, intérimaires, mais aussi couturières et costumières à la retraite. Nous travaillons à notre compte en tant qu’indépendante et gérante de TPE, en freelance, mais aussi en tant que salariées (intérimaires, intermittentes) mais nous sommes aussi au chômage ou en situation précaire. Les liens que nous avons avec l’État sont les structures nationales dans lesquelles on travaille en CDD (Opéras, théâtres nationaux). Les indépendantes sont autonomes de par leur statut.
Les métiers de la couture étant à 95% féminins, les réponses seront donc tournées en ce sens. Nous n’oublions évidemment pas nos confrères costumiers, intermittents, artisans, créateurs, couturiers, tailleurs.
Cet élan de solidarité a commencé par le bouche à oreille en ayant nous-même des personnes de nos familles ou ami·e·s soignant·e·s sur le front. L’idée de départ était de les « dépanner », de les aider. Logique puisque nous avions toutes plus ou moins un petit stock, les outils, les machines mais aussi le savoir-faireLes SOS se sont multipliés et nous avons commencé à appeler à la mobilisation sur nos réseaux sociaux. Jamais nous n’avions pensé que la demande serait de cette ampleur.
Les demandes de plus grandes quantités et surtout des non-soignants, sont arrivées par la suite. Tout cela est rythmé par les annonces de l’État : à chaque discours son lot de demandes de plus en plus diversifiées. Mais au 29 avril, nous avons malheureusement ENCORE des demandes de soignants…(...)
Nous risquons de continuer à travailler gratuitement, sans aucun contrôle ni encadrement pour les couturier·e·s ; le droit du travail est mis à mal : on nous demande de travailler de nombreuses heures, sans aucune rémunération, sans protection sociale car sans employeur, et par conséquent sans aucun droit.
Le risque c’est l’abus. L’abus de cette générosité qu’on n’a pas à payer. Un moyen trop « facile » qu’on n’a pas besoin de rémunérer.(...)
Certaines couturières vendent leurs masques et se font littéralement traiter de « profiteuses », de « sans cœur » d’ « opportunistes ». Inversement, d’autres sont absolument remerciées et applaudies. (...)
Certaines sont des indépendantes qui ont un n° de siret et qui donc peuvent déclarer ce qu’elles ont vendu (et qui payent des charges dessus au passage). Mais les intermittentes, intérimaires, retraitées, salariées ne peuvent pas vendre, elles n’ont pas ce statut d’indépendantes. Aujourd’hui encore, certaines continuent à travailler bénévolement mettant de côté leur temps libre, leur famille et leur santé. (...)
Nous voulons être cadrées, nous voulons être organisées, nous voulons être rémunérées. Étant donné les annulations d’évènements culturels, festivals, spectacles, ballets, ce sont par exemple les costumières qui en seraient plus que ravies.
Pourquoi cela n’est-t-il pas déjà fait ? (...)
La couture était jusqu’aux années 60 enseignée à l’école aux fillettes pour devenir « la parfaite petite ménagère ». Notre métier est lié à l’évolution de l’émancipation des femmes.
MAIS notre métier n’est également pas considéré car il n’est pas structuré. (...)
Le plus dramatique dans l’histoire, c’est que c’est un réel savoir-faire : ce métier est complexe, il demande des projections en 3D, une dextérité et une précision des gestes, une patience inouïe. Un savoir-faire en général maitrisé en 10 années de pratique professionnelle (coupe, moulage, montage, gradation, etc.) après des formations pointues. Évidemment, couplé à cette connaissance technique, une couturière pense, réfléchit et se cultive : technologie textile, histoire de la mode et du costume, nouvelles tendances, culture théâtrale, littéraire, apprentissage d’une seconde langue, recherches historiques, documentation, etc.
La deuxième problématique de ce métier est la dimension du « métier passion ». Dès que l’on touche à cette notion (comme certains artistes, musiciens, peintres), nous arrivons à chaque fois à la remarque : « Oh ! mais tu as tellement de chance de faire ce que tu aimes ! » : l’argument implacable pour rationaliser le fait que c’est normal de ne pas en vivre. (...)
La 3ème notion est celle du « superficiel ». Jusqu’aux années 60, nous portions nos vêtements jusqu’à l’usure complète. Les retoucheuses et couturières avaient par ailleurs un rôle capital dans les villes et quartiers – évidemment toujours très mal payées, par contre. Depuis la mondialisation et ce qu’elle a entrainé en termes d’importations textiles, de délocalisations de production, etc., le vêtement est devenu un bien de consommation comme un autre qui suit des tendances. (...)
La 4ème notion est celle du « loisir-créatif ». Vu que l’on n’est plus obligé de savoir coudre ou raccommoder pour s’habiller (c’est moins cher et plus pratique de racheter un jean neuf chez H&M), on se met à la couture comme un passe-temps, un hobby, un loisir-créatif. Activité manuelle revenue en force notamment grâce à la tendance du « do it yourself ». (...)
un couturier ; c’est chic, une couturière ; c’est une vielle avec ses chats et son châle au crochet. C’est ancré. Tout comme l’homosexualité des couturiers. C’est ancré dans l’inconscient collectif.(...)
Qui aurait cru un jour que nous soyons indispensables à nos concitoyens et que notre pays ne s’en rende même pas compte ? Qui aurait cru un jour qu’un tel évènement qui nous mettrait dans la lumière ?
Il est évident que la dynamique de ce mouvement ne s’arrêtera pas. Il est grand temps que notre métier soit considéré. Il est grand temps que notre métier soit structuré et valorisé. Il est grand temps d’avancer. Pour nous, pour notre patrimoine, pour notre culture, pour notre Histoire