Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Acrimed
Nuit debout : il faut (encore) sauver le soldat Finkielkraut
Article mis en ligne le 19 avril 2016

Indignation générale : Alain Finkielkraut se serait fait « expulser », selon ses propres termes, de la place de la République où se tenait une assemblée générale du mouvement Nuit debout. Et l’académicien d’expliquer qu’« on a voulu purifier la place de la République de [s]a présence ». Dans la foulée, les médias dominants se sont empressés de reprendre à leur compte la version des faits présentée par Alain Finkielkraut.

Pourtant d’autres témoignages, ainsi que des vidéos filmées sur place, montrent que les événements ne se sont pas exactement passés ainsi. Peu importe : la machine médiatique s’est déjà emballée, et auto-entretient un torrent de commentaires indignés et de débats faussés… Énième expression des solidarités de caste à l’œuvre dans l’éditocratie, dont nombre de représentants ne semblent s’intéresser aux mobilisations sociales que lorsqu’il est question de délégitimer ces dernières. (...)

Deux membres de la commission « sérénité » ont d’ailleurs publié, le lundi 18 avril, un témoignage qui relate une tout autre version des faits. Ainsi :

Très factuellement d’abord, rappelons que M. Finkielkraut assistait depuis plus d’une heure à l’Assemblée populaire avant que certains n’exigent son départ. Là où Libération imagine un libre penseur agressé par une foule menaçante, nous avons vu au contraire un académicien étonnamment vulgaire menacer de « coups de latte » les quatre ou cinq personnes révoltées qui criaient pour réclamer son départ. En l’escortant jusqu’au trottoir, nous ne l’avons en aucun cas contraint à partir (il s’est au contraire montré surpris d’être protégé à Nuit Debout – ce qui laisse entrevoir l’accueil qu’il imaginait lui être réservé), tout comme nous ne l’avons pas protégé physiquement, puisque personne n’a tenté ni de le menacer ni de le suivre au-delà de la place.

Faut-il les croire sur parole ? Pas nécessairement. Mais l’on ne peut qu’être frappé du fait que tous les « indignés » d’un jour n’ont guère pris la peine de vérifier leurs informations avant de s’épancher sur Twitter et dans des éditoriaux. (...)

les « indignés » ont-ils seulement pris la peine de vérifier leurs informations ? Ont-ils cherché à contacter d’éventuels témoins ? Se sont-ils rendus sur place, dimanche, pour recueillir la version des participants à Nuit debout ? De toute évidence, non [1]. Ou quand la parole de l’académicien devient parole d’Évangile, et que les logiques d’identification de caste prennent le pas sur la prudence que devraient s’imposer celles et ceux qui prétendent, à défaut d’informer, commenter l’actualité.

Sans que la moindre vérification soit opérée, la machine médiatique s’est ainsi mise en route… Les invités politiques ont été sommés de réagir à cet « événement » – et ne s’en sont pas privés [2]. Ces réactions vont, à leur tour, être l’objet de nouveaux commentaires et articles et alimenter la bulle médiatique autour d’un événement à première vue assez anecdotique. Autre exemple symptomatique de l’emballement médiatique : sur le site de RMC, les lecteurs eux-mêmes sont invités à répondre à un pseudo-sondage (...)

Quel entrain ! On aurait aimé que, par exemple, les violences policières commises au cours des dernières semaines soient elles aussi l’objet d’une telle attention ! (...)

De toute évidence, il y a « violence » et « violence », et l’éditocratie est beaucoup plus prompte à s’indigner, à protester et à médire lorsqu’un philosophe médiatique ou une chemise sont prises pour cibles par des mouvements de contestation sociale que lorsque les classes populaires ou les militants sont victimes de la violence, qu’elle soit patronale ou d’État. Les solidarités de caste sont décidément omniprésentes au sein d’une éditocratie qui n’hésite pas à condamner ou à moquer les solidarités de classe en raillant, par exemple, celles et ceux qui se mobilisent contre la Loi El Khomri alors qu’ils ne seraient « pas concernés ». (...)

pour certains responsables politiques et éditorialistes, cet emballement est du pain béni : l’occasion de dénoncer le prétendu « sectarisme » des participants des rassemblements Nuit debout, dont le succès agace autant qu’il interroge. Cet emballement est d’autant plus visible qu’il met en valeur la sous-information chronique sur le mouvement (et en particulier ses déclinaisons hors de Paris), son existence et ses revendications, et d’une sur-« information » sur les moindres incidents « en marge du mouvement », comme les médias le disent eux-mêmes.

Quant à ceux qui s’inquiètent de la liberté d’expression d’Alain Finkielkraut, se posant soudain en gardien d’un pluralisme dont ils n’ont cure le reste de l’année, quand ils ne s’en prennent pas directement à celles et ceux qui osent s’exprimer dans les médias alors que la parole ne leur est jamais donnée [3], qu’ils se rassurent : depuis les sombres événements de samedi soir, il a eu l’occasion de plaider sa cause (...)