
C’est une histoire vieille comme le monde : l’argent et le pouvoir nourrissent la méfiance et la rancœur. Mais est-il possible de faire évoluer les relations entre les principaux bailleurs de fonds occidentaux et les agences humanitaires du Sud, au bénéfice de tous ?
Un des défis majeurs est l’idée largement répandue que les bailleurs de fonds du Nord et les bailleurs de fonds occidentaux n’ont pas confiance dans la capacité des acteurs du Sud à apporter une aide efficace ; en outre, en raison d’une surveillance financière plus stricte, il serait trop risqué de donner de l’argent aux petites organisations ou aux organisations « locales », car elles ne sont pas capables de fournir les preuves de leurs dépenses.
Les organisations non gouvernementales (ONG) du Sud déplorent, quant à elles, la tendance des organisations du Nord à intervenir rapidement dans les situations de crise, sans tenir compte des connaissances locales et des contextes, et à mettre en œuvre des solutions inapplicables, sans concertation avec les communautés.
Autres reproches formulés : les ONG internationales débauchent le personnel le plus compétent des organisations locales (ce qui empêchent les petits acteurs de renforcer leur capacité et leur impact) ; dans les médias, les organisations caritatives du Nord récoltent les lauriers du travail accompli par des « partenaires » ; et l’anglais est utilisé dans toutes les réunions de coordination au détriment des langues locales.
Un nouveau réseau
La création d’un nouveau réseau mondial d’ONG du Sud a été proposée et annoncée la semaine dernière lors d’un sommet humanitaire organisé à New-York afin de remédier à certains de ces déséquilibres, réels ou perçus. (...)
« Les crises et les besoins se ressentent au niveau local, dans des zones données. Et pourtant, les fonds sont versés par des gouvernements étrangers à des agences pour la plupart étrangères », s’est plainte Degan Ali, la directrice exécutive d’African Development Solutions (Adeso). L’ADESO, basée à Nairobi, est l’une des organisations à l’origine de cette idée.
« Nous avons fini par considérer que les ONG occidentales sont ’internationales’ et que le reste du monde est ’local’ », a-t-elle dit à IRIN. « Quand des ’ONG du Nord’ travaillent avec des ’acteurs du Sud’, il s’agit rarement d’un partenariat, mais plutôt d’une sous-traitance ». (...)
L’annonce de la création du réseau est intervenue après consultation des ONG du Sud qui ont exprimé leurs frustrations à l’égard du système d’aide humanitaire dans un rapport de mai 2015 commissionné par l’Adeso.
L’organisation Coastal Association for Social Transformation Trust (COAST), basée au Bangladesh, est l’une des organisations qui soutiennent la création du réseau.
« Un réseau d’ONG du Sud est nécessaire pour faire entendre la voix des communautés du Sud sur la scène politique mondiale et corriger les déséquilibres de pouvoir dans les efforts humanitaires », a noté Rezaul Karim Chowdhury, le directeur exécutif de COAST.
La question du financement est au cœur des débats. (...)
D’après les recherches menées par l’organisation britannique Development Initiatives, les ONG locales et nationales n’ont reçu que 1,6 pour cent de l’aide humanitaire donnée par les bailleurs de fonds internationaux entre 2009 et 2013, ce qui équivaut à 0,2 pour cent du total des financements humanitaires pour cette période, et cela malgré l’augmentation considérable de l’activité des acteurs locaux qui répondent aux urgences, notamment la guerre en Syrie, le typhon Haiyan aux Philippines et le tremblement de terre en Haïti.
Dhananjayan Sriskandarajah, le secrétaire général du réseau mondial d’organisations de la société civile CIVICUS, a reconnu que les organisations du Sud devraient avoir leur mot à dire sur les réponses humanitaires et les interventions de développement ; elles devraient être davantage impliquées dans ces actions et devraient obtenir des financements plus directs.(...)
Les discussions sur la réduction du fossé entre les ONG du Nord et les ONG du Sud, et l’amélioration des flux des financements ont occupé une place importante lors des événements consultatifs organisés à l’approche du Sommet humanitaire mondial, comme le Forum international pour l’amélioration de l’action humanitaire à New-York la semaine dernière.
« L’objectif implicite de l’aide humanitaire est la puissance douce et tant que nous aurons pas abordé ce point, tant que nous n’aurons pas créer un système humanitaire qui œuvre pour le bien public mondial, nous ne pourrons pas tout changer », a dit à IRIN Mme Ali.
« Il ne s’agit pas de remplacer les ONG occidentales par les ONG du Sud. Il s’agit de changer notre façon de travailler ».