
L’adoption paraît être une solution quasi normale pour éviter à un orphelin de passer sa jeunesse et son adolescence dans diverses institutions qui n’ont pas la prétention de remplacer leur parents.
Ces enfants sont, pour la plupart, recueillis dans une famille qui veut les adopter en toute légalité. Très souvent ces parents ont le malheur de ne pouvoir avoir leurs enfants naturellement et ont vécu le calvaire des recours médicaux non réussis. Après des démarches sans fin et des attentes interminables ils sont comblés par l’arrivée de cet enfant tant attendu.
Petits bébés ou plus grands, ils sont choyés comme des trésors miraculeux... parfois beaucoup plus que certains enfants plus ou moins bienvenus dans un couple désunis ou dans une fratrie déjà nombreuse.
L’expérience montre cependant que la greffe proposée par l’adoption n’a rien de facile, et que, plus ou moins tôt, ces enfants posent un certain nombre de problèmes, apparentés le plus souvent aux difficulté d’apprentissage - problèmes bien connus qui peuvent faire l’objet d’aides spécifiques.
Cependant il en est un, pratiquement constant et spécifique, qui tient à la manière dont chaque enfant s’accepte comme adopté. Pré-adolescents et adolescents ne peuvent pas faire l’économie de ce questionnement qui touche à la construction de leur identité : « D’où je viens, qui était mon père ? Et ma mère ? Quelle était leur origine et surtout pourquoi en suis-je orphelin ? »
Depuis quelques années les réflexions sur les critères indispensables à la réussite d’une adoption insistent sur la capacité des parents adoptifs à préparer leur enfant à connaître les circonstances de leur adoption dans les meilleures conditions, et à ne rien leur cacher de leurs parents - autant que faire se peut.
C’est pour l’enfant en quelque sorte un deuil, qu’un enfant fragile ne fera pas sans risques.
C’est une souffrance, plus ou moins dramatique ; Et qui sera plus ou moins bien supportée par les parents adoptifs. Sans s’appesantir sur les désirs de suicide, qui parfois sont réussis dés la pré-adolescence, il est impératif de prendre en compte les troubles de l’adolescence, qui mettent à nu la relation affective avec chaque parent, et qui vont souvent s’étaler sur une longue période : il en est qui grèvent définitivement l’avenir de ces jeunes.
Il n’est absolument pas question de mettre en doute les qualités d’un parent en fonction de ses choix de vie, célibataire, en couple hétéro ou homo. Mais aussi excellent soit-il il lui faudra faire face aux demandes cruciales de l’adolescent - Qui suis-je ? D’où je viens ? Quelles sont mes appartenances - langue culture religion niveau social - Qu’en puis-je accepter ou refuser pour me construire une vie de sujet différencié et autonome ?
Peut-on comparer à ces enfants abandonnés ou orphelins, les enfants nés d’une PMA avec don de sperme ? Ils ont une mère - célibataire ou en couple hétéro ou lesbien - et n’ont donc pas le douloureux vécu des orphelins en attente de l’adoption. Même tout petit la séparation d’avec la mère peut entraîner des symptômes d’abandonisme.
Il y a tant d’enfants élevé par leur mère seule que l’absence du père peut ne pas être ressentie avant cette période où l’adolescent construit son identité. Et là il va devoir affronter la réalité du donneur de sperme : qui est cet inconnu qui se cache ? La recherche des origines va se heurter à l’anonymat des donneurs... anonymat que le Professeur René Frydman voudrait bien voir cesser. Faute de loi, le problème reste entier.
Cet enfant va donc se heurter à un mur : silence et absence. Il va lui falloir demander des comptes à sa mère, dont il acceptera /comprendra ou pas les choix. Sans pour autant modifier sa situation : enfant sans père connu, il ne peut en être reconnu ! Il se sentira atteint dans son intégrité, en manque d’un élément constitutif de sa personnalité, qu’il lui faudra compenser au mieux pour ne pas sombrer dans des désordres psychiques toujours graves à cette période charnière de son existence. Adolescence : dont Winnicot dit « grandir signifie (dans les fantasmes) prendre la place des parents, les tuer symboliquement ; au fond le meilleur service que les parents ont à rendre à leur adolescent c’est de leur survivre »
Il n’est pas possible de faire l’impasse sur les enfants nés de « locations d’utérus » qui sont pratiquées en toute légalité dans certains pays : l’enfant tôt ou tard saura qu’il a été l’objet d’une transaction financière, plus ou moins reconnue et explicite.
La question de l’achat de l’enfant (adopté ou GPA)- quelle qu’en ait été la forme - pose à l’adolescent un double problème – D’abord qu’est ce que c’est que cette mère qui a voulu me vendre pour de l’argent ? - Ensuite qu’est ce que je vaux pour mes parents : le prix de leur voiture, le prix d’un chien de race ou d’un cheval de course ? Suis-je un objet usuel... Je ne suis donc pas vraiment humain mais peut être un bel objet ou un animal rare ? Comment m’en accommoder, pour le supporter ? Suis-je dévalorisé à leur yeux et à ceux de la société ? Comment me sentir sujet à part entière après cette amputation ?
Ce sentiment de dévalorisation dégradante entraîne à son tour des réactions et des provocations à l’endroit des parents. Tenus pour seuls « responsables » ils peuvent en toute bonne foi invoquer leur immense désir d’enfant.
Progressivement s’installe chez cet adolescent un sentiment de toute puissance du désir, sur un univers sans autre loi. Rien ne le retient de se croire tout permis, rien ni personne ne peut s’opposer à son désir. Ce sentiment de toute puissance est le départ de graves troubles du comportement sur une personnalité profondément perturbée.
Reprenons les travaux de Pierre. Legendre (dans L’inestimable objet de la transmission) :
« le désir est un défi adressé aux dieux, un désir d’absolu, s’élever jusqu’à l’inatteignable, ou pour parler plus simplement, je dirai : il est dans la nature du désir de désirer l’impossible ».