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Mediapart
Obsédé par le PNF, Matignon se prend les pieds dans la procédure
Article mis en ligne le 17 avril 2021
dernière modification le 16 avril 2021

Le Conseil supérieur de la magistrature, à qui Jean Castex demandait des poursuites disciplinaires contre un vice-procureur au parquet national financier, Patrice Amar, renvoie le premier ministre dans ses cordes.

Une délibération millimétrée, et un communiqué au cordeau : le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) vient d’offrir une leçon de droit cuisante au premier ministre en personne. Un petit plaisir qui se fonde sur une lecture rigoureuse de la Constitution, et plus précisément sur celle de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Le 26 mars, Jean Castex annonçait avoir saisi la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) du cas d’un vice-procureur du parquet national financier (PNF), Patrice Amar, réputé être l’une des bêtes noires de l’ancien président Nicolas Sarkozy. Les services de Matignon soulignaient, dans un communiqué, avoir relevé un « doute sérieux quant au respect de ses obligations déontologiques » après avoir reçu un rapport d’inspection visant notamment ce procureur anticorruption, rapport que Matignon se gardait bien de rendre public.

Or, d’après ledit rapport d’inspection que Mediapart a pu consulter en intégralité, aucun manquement ne peut être reproché au magistrat en question, que ce soit d’un point de vue déontologique, dans sa manière de servir sa fonction, ou vis-à-vis de son devoir de loyauté hiérarchique, y compris en lien avec la prétendue « affaire des fadettes » liée au procès Sarkozy-Herzog.

Au contraire, les cinq magistrats de l’Inspection générale de la justice (IGJ) ont mis en avant dans les conclusions de leur rapport de 58 pages, signé le 4 février dernier, « les qualités humaines, les compétences techniques, l’aisance oratoire et la capacité à s’inscrire dans le lien hiérarchique » du procureur visé, qui « ont été très majoritairement saluées ». (...)

Qu’à cela ne tienne. Matignon passait outre et décidait de saisir le CSM du cas Amar sans aucun fondement sérieux, dans la droite ligne de la vendetta menée depuis des mois par le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti contre le parquet national financier, institution avec laquelle il avait eu des différends personnels lorsqu’il était avocat. (...)

Sollicité par Mediapart, l’avocat François Saint-Pierre, qui défend Patrice Amar avec Marie Lhéritier, ne cache pas sa satisfaction. « Nous avons pris connaissance de la décision du CSM qui rejette purement et simplement la plainte du premier ministre Jean Castex. Le CSM constate qu’il n’y aucun grief reproché », poursuit Me Saint-Pierre. « Patrice Amar se voit épargner toute poursuite disciplinaire, il n’a commis aucune faute ni dans l’affaire des fadettes, ni en saisissant sa hiérarchie du cas de Mme Houlette. »

Conclusion de l’avocat : « Le premier ministre, comme le ministre de la justice, se voient désavoués par le CSM. Je souhaite qu’ils en prennent acte et qu’ils en tirent les conséquences. »

Après avoir saisi en vain l’Inspection générale de la justice (IGJ) puis le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), on voit en effet assez mal ce que le pouvoir pourrait encore inventer pour essayer de nuire au procureur Amar. Ce magistrat au centre des manœuvres du premier ministre n’est pas n’importe qui. Vice-procureur au PNF, Patrice Amar a eu en charge pendant des années plusieurs affaires parmi les plus sensibles du pays, dont le scandale des financements libyens du clan Sarkozy qui aboutira à une quadruple mise en examen de l’ancien président de la République et, par ricochets, début mars, à sa condamnation pour corruption et trafic d’influence dans le dossier « Bismuth ». (...)

Une tempête politique s’est abattue sur le PNF à la veille du procès Sarkozy, après que Le Point se fut ému que des procureurs aient épluché les factures téléphoniques d’avocats parisiens (dont l’actuel ministre Éric Dupond-Moretti), un temps soupçonnés d’avoir pu informer directement ou indirectement Nicolas Sarkozy de son placement sur écoute dans l’affaire libyenne.

L’ancienne cheffe du PNF, Éliane Houlette, a moins de chance que Patrice Amar. Les griefs la concernant dénoncés par Matignon sont retenus par le CSM, qui a désigné deux rapporteurs pour procéder à une enquête.