
« Enfants à (ne pas) adopter » : en 2005, le magazine Courrier international consacrait un numéro à la question de l’adoption suite au tsunami de décembre 2004. En Une, une petite fille vêtue de rose, aux couettes défaites, probablement issue des pays dévastés par cette catastrophe naturelle. Cette accroche, saisissante, allait à l’encontre du discours habituel sur l’adoption : il évoquait la dimension politique de cette démarche. C’est aussi le but de la réalisatrice Amandine Gay qui veut ouvrir le débat en France.
Le travail d’Amandine Gay sur les femmes noires et celles qui se désignent comme « afroféministes » a participé à faire émerger ces sujets dans l’espace médiatique et politique français. Son film « Ouvrir la voix » (OLV) sorti en 2017 est le premier film français autoproduit et auto-distribué parvenu à obtenir une sortie nationale, dans 11 salles. Il a enregistré « 17 000 entrées, 20 0000 à travers le monde, dans 9 pays », indique la réalisatrice. Cet « incroyable parcours » se poursuit en DVD et très prochainement à la télévision. « J’ai donné pour la première fois la parole à des femmes noires uniquement durant 2 heures, sans interruption d’experts », explique Amandine Gay, rencontrée il y a quelques jours à Paris, où elle est de retour après trois ans à Montréal. Forte de ce succès inattendu, la réalisatrice de 33 ans s’est lancée dans l’exploration d’un sujet tout autant important pour elle, et également aussi intime que politique : l’adoption.
« Née sous le secret »
Amandine Gay travaille sur un livre et surtout un film dont le titre provisoire est « Un enfant à soi ». « Le film donnera la parole aux adultes de 20 à 75 ans, avec recul. On questionne la vision occidentale et post-révolution industrielle de l’enfant comme propriété. Le sujet est à la fois intime et politique, alors on fait attention. L’objectif est qu’ils ressortent mieux de cette expérience, certainement pas de faire éclater des cellules familiales. » Comme pour OLV, Amandine Gay et son équipe « posent beaucoup de questions, s’assurent que les intervenant.e.s ont bien compris le concept du film ». Pourquoi ce format ? C’est pour elle le plus adapté. « Je pourrais me filmer et faire un monologue mais ce n’est pas intéressant. Je ne suis pas là pour donner mon avis, je suis là pour lancer des conversations. J’arrive avec des présupposés, des intuitions, des interrogations mais je dois rester ouverte. Je confronte ma vision politique à la leur ». Avant de lancer ce projet, la réalisatrice a repris ses études. « La solidité conceptuelle vient du travail de recherche antérieur. J’ai toujours voulu consacrer un film à l’adoption. Mais d’abord, je devais opter pour une approche dépassionnée, il y avait une mise à distance à faire. Le travail universitaire n’était pas obligatoire pour alimenter le travail créatif mais je le trouve utile, même si je retourne à l’émotion, l’empathie, j’aime avoir des bases solides. J’ai toujours aimé l’école, apprendre et puis on apprend en transmettant, en synthétisant une pensée, en rendant intelligible un sujet opaque. » Si elle ne l’avait pas mené dans ce cadre, elle explique que « le mémoire réalisé à Sciences Po en 2006 sur les enjeux du traitement de la question coloniale dans la société française a bénéficié à OLV. » (...)