
L’irrévérence, la liberté de ton, la satire… tout ce qui faisait le sel de l’esprit Canal grande époque semble banni des antennes depuis la mainmise du milliardaire breton. Hier adorés, les humoristes y ont-ils encore leur place ?
À chaque fois, le public est hilare. Médusé aussi. Sur la scène du Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, à Paris, où son second spectacle, Solide, est programmé depuis novembre dernier, l’humoriste Edgar-Yves livre avec gourmandise ses mésaventures avec Canal+. Pendant une vingtaine de minutes, ce fils de diplomate franco-béninois de 35 ans raconte par le menu les censures subies sur C8 et Comédie+, deux chaînes du groupe Canal+ où il se dit aujourd’hui totalement « blacklisté ».
La raison de la discorde ? Une vanne tirée de l’un de ses sketchs les plus connus, La Corruption, issu de son premier spectacle, Certifié taquin (dont la vidéo cumule plusieurs millions de vues en ligne). Un brûlot de plus de huit minutes sur la Françafrique, où il tacle les malversations de son propre père, mais évoque aussi les relations entre le président de la Guinée Alpha Condé et un certain « industriel français ». En l’occurrence, Vincent Bolloré, dont les activités fleurissent en Afrique et grand patron de la chaîne cryptée française.
Morceaux choisis : « Pour son premier mandat, Alpha Condé a été sponsorisé par un milliardaire français dont je tairais le nom parce que je veux continuer à faire des séries sur Canal+. » Il enfonce le clou quelques minutes plus tard, quand il imite le président guinéen en train de répondre à des journalistes : « Vincent Bolloré est un ami, donc le PDG de Canal+ est un ami, et il me paraît normal d’aider un ami. »
Invité à participer à La grosse rigolade de Cyril Hanouna sur C8 en novembre 2020, c’est ce sketch qu’Edgar-Yves décide de jouer devant l’animateur. Qui, dit-on, restera totalement sidéré — il ne connaissait pas le texte. La mention du milliardaire breton sera coupée au montage avant diffusion, sans en avertir l’auteur. Quelques semaines plus tard, Edgar-Yves sera censuré une seconde fois sur Comédie+, et dans les grandes largeurs. (...)
« Aujourd’hui, on ne parle pas de censure mais plutôt de “bienveillance”, on veut de l’humour grand public qui doit rassembler tout le monde, confie un humoriste qui a longtemps travaillé au sein du groupe Canal+. Comme tous les grands patrons, Vincent Bolloré est suffisamment fort pour installer une ambiance d’autocensure, en mettant des soldats aux postes clés, qui font la police à sa place… Ça reste malgré tout à la tête du client. Plus tu es connu, moins ils vont oser t’imposer des choses. » Dans les faits, peu sont prêts à se « griller » auprès du groupe Canal+ et à se voir priver d’un financement pour un éventuel projet — hormis Edgar-Yves, tous ceux que nous avons interrogés ont souhaité conserver l’anonymat. (...)
Après une blague sur Cyril Hanouna lancée dans Quotidien le 29 mars 2021, la star Patrick Timsit a vu ses dates de spectacle, prévues quelques mois plus tard à l’Olympia, mystérieusement annulées, une salle qui se réserve quasiment deux ans à l’avance et appartient à… Vivendi-Bolloré. (...)