
Orlando sera désormais le nom d’une tuerie de masse comme il y en eut tant d’autres, dont on n’égrène plus les noms. Cet assassinat s’est d’abord accompagné d’un silence des médias sur le caractère homophobe, lesbophobe et transphobe du crime avant d’être instrumentalisé par ceux-là mêmes qui s’étaient tus. La mémoire des victimes d’Orlando ne peut être honorée qu’à condition de repenser le statut de minoritaire et les convergences pratiques qu’il impose. C’est à la construction d’un universel concret que ce texte nous engage.
À Orlando des gens sont morts assassinés. Plusieurs dizaines de personnes sont mortes sous les balles d’un assassin (peut-être fou, peut-être terroriste, peut-être juste assassin). Elles sont mortes alors qu’elles étaient sorties danser, boire, séduire, alors qu’elles étaient venues s’amuser. Ces gens-là, cela a été dit, mais pas assez et pas assez vite, étaient les cibles de cet assassin parce qu’ils étaient gays, lesbiennes, trans, bi, et d’autres choses aussi. Ils sont morts parce qu’ils appartenaient à ce qu’on appelle parfois une communauté. Une minorité. LGBTQI. Ils étaient aussi pour nombre d’entre eux blacks, latinos, et bien d’autres choses encore. L’invisibilisation du caractère homophobe de cet assassinat de masse dans la presse du lendemain matin [1] et les premiers hommages des politiques est insupportable. Elle rajoute à la colère de la colère, elle constitue un déni insultant au mieux, une omission coupable au pire, en tout cas pour tous ceux qui se reconnaissent dans ces morts, pour tous ceux qui se reconnaissent dans au moins l’une de ces identités multiples et croisées qui se sont fait assassiner une nuit de juin en Floride. Alors il faut le dire, l’écrire et le redire : ces gens sont morts parce qu’ils appartenaient à cette minorité LGBTQI. Parce que leurs désirs étaient dits minoritaires, parce qu’ils aimaient à les partager dans des lieux spécifiques mais ouverts qui ont fait d’eux une cible facile à atteindre. Il faudra décrypter, déconstruire et combattre tous les discours qui tenteront de nous faire croire que non, que ce n’est pas cela, des plus haineux aux plus faussement universalistes. Cette fois encore (mais l’a-t-on déjà fait dans les tueries de masse de ces derniers mois ?) on n’a pas tiré dans la foule de manière indéterminée. On a assassiné politiquement. Si la haine est indéterminée, la cible, elle, ne l’est pas.
Il est nécessaire et terrible de l’admettre. Et de recommencer à réfléchir à partir de là. (...)
derrière cet acte et derrière nos émotions se lit la mise en lumière de la prégnance des actes et des discours homophobes dans nos sociétés si « tolérantes » et pourtant attaquées par la « barbarie ». Le fait est que ces actes et ces discours n’ont en réalité pas besoin d’être invisibilisés. Ils sont tellement présents, visibles, tolérés qu’ils sont devenus médiocrement normaux, qu’ils ne saillent plus en rien. Il est donc essentiel que soit combattue avec plus d’acharnement la banalité des discours, des insultes, des agressions homophobes. Il est donc essentiel de faire vivre, revivre dans l’atonie politique du moment, nos identités comme des identités politiques. (...)
Pourquoi faut-il que ce soient en grande majorité des personnes issues de la minorité LGBTQI qui doivent s’indigner de cette invisibilisation, s’insurger contre le caractère homophobe de cet acte et son « oubli » dans la presse du matin ? Personne d’autre ne l’aurait saisi ? Pourquoi devrait-il exister une spécificité de la parole LGBTQI sur les actes homophobes ? Elle existe certainement, en tant qu’expression d’expériences partagées, mais qui d’autre ne pourrait pas s’indigner, se reconnaître, partager cette identité dans la violence qu’elle a subie ? Ce serait faire justement de cette identité quelque chose de politiquement fort que de pouvoir la partager avec chacun. D’accepter une reconnaissance ou même une convergence dans l’existence d’un autre. Il y a un risque à trop vouloir situer nos paroles et choisir nos combats en fonction de nos identités (...)
Il s’agit de voir plus loin, de voir que nos identités politiques minoritaires peuvent devenir le lieu de convergences multiples et de luttes partagées. Lorsqu’elles ne se battent que pour elles-mêmes les minorités font le jeu de la pensée dominante et semblent déjà rendre les armes. (...)
Il faut que les combats minoritaires soient des combats universels. Sinon nous avons perdu.